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comment le vrai, le bien et le buste auront raison de cette conjuration du sophisme, des idées perverses et des passions serviles, par quelle série de combats ces élémens, qui sont l’ame même de la civilisation, retrouveront leur action naturelle et légitime au sein de la société pour la vivifier. Ce sont là les véritables opprimés de l’esprit révolutionnaire. Ils ont été vaincus en février surtout ; ils l’ont été bien avant. Ils ont été vaincus le jour où, par une pente insensible, la certitude et la foi morale, l’idée du respect, le sentiment élevé et simple du devoir et même ce culte du beau, charme ineffable et sévère des natures d’élite, ont commencé de s’effacer devant je ne sais quel idéal amoindri, je ne sais quels stimulans grossiers, je pesais quelle interprétation matérialiste de la vie humaine, enseignant à l’homme qu’il n’a que des droits, préconisant la divinité du bien-être et la légitimité du succès. Et qu’on suive maintenant cette altération des notions supérieures, ce désastre des vérités sociales dans leurs conséquences positives, palpables, contemporaines. Ah ! je voudrais qu’il se trouvât un de Maistre pour rudoyer un peu les optimismes de toutes les nuances et de toutes les sectes, pour gourmander les infatuations de notre temps en les ramenait impérieusement à la réalité qui nous opprime. À ceux qui disent : Nous élevons l’édifice des destinées nouvelles ! la réalité répond par l’accumulation des ruines ; à ceux qui disent : Nous poursuivons le bonheur, nous aspirons à son règne ! elle répond par la misère, par la tristesse qui envahit les ames, par une sorte d’abâtardissement même dans ce qui nous reste de jouissances ; à ceux qui disent : Nous émancipons l’esprit humain, nous lui rendons le sceptre, nous le mettons en possession de la puissance ! elle répond par l’appauvrissement du génie intellectuel, par le morcellement des facultés littéraires, par la dépression intérieure du talent. Extrême et douloureuse situation pour des hommes que celle où ils se sentent ainsi frappés dans tout ce qui les fait vivre, dans leur foi sociale ébranlée, dans leurs intérêts qui n’ont plus de sauvegarde, dans leur pensée obscurcie qui ne sait plus où les conduire, dans leur imagination qui ne peut plus même arriver à les charmer, et qui s’amuse à les corrompre !

Quel est, en littérature, ce mal inconnu qui se traduit chez le plus grand nombre en dépravation, en inconsistance, en frivolité ambitieuse, en spéculations éhontées, qui s’insinue parfois jusque dans les meilleurs esprits et les abaisse, et dont la trace se laisse apercevoir dans les applications les plus sérieuses de la pensée ? C’est une question d’un ardent intérêt, soulevée dans un livre récent de M. Philarète Charles. Les Études sur les hommes et les mœurs au XIXe siècle sont une vive analyse des tendances contemporaines. L’auteur y jette un coup d’œil scrutateur sur les mille nuances intellectuelles, et morales de son siècle. Observateur singulier, qui, comme dernier trait caractéristique, n’est point sans porter lui-même l’empreinte de quelques-unes de ces