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influences qu’il décrit, et sans laisser apparaître quelques-uns de ces faibles pour lesquels il a une ironie qui ne porte pas toujours où il voudrait et, qui s’égare quelquefois ailleurs qu’il ne pense ! Le mérite de M. Chasles, c’est de travailler à mettre à nu les origines de ce mal mystérieux dont je signalais l’existence dans la littérature, et qui s’est révélé sous tant d’aspects différens. Les uns l’ont nommé l’industrialisme ; d’autres y ont vu surtout l’ardeur brutale du scepticisme moral ; chaque difformité, chaque déviation a été observée. L’ensemble de ces vices littéraires contemporains ne s’éclaire-t-il point aujourd’hui, à vos yeux, d’un nouveau jour ? n’y reconnaissez-vous pas les faces diverses d’un mal unique, plus profondément inhérent à la condition générale de notre temps : le despotisme dissolvant et corrupteur d’une fausse idée démocratique ?

La démocratie est la loi invincible du XIXe siècle, dit-on, elle pénètre notre société par tous ses pores, elle triomphe même des barrières qu’on lui oppose. Soit : le fait frappe assez tous les regards. Il est seulement à craindre qu’elle ne triomphe avant de posséder cette règle idéale, ce frein puissant, cette pensée supérieure destinée à féconder son action. La démocratie elle-même le sent bien lorsqu’elle se met a la recherche d’un ressort nouveau, d’un idéal nouveau qu’elle ne peut trouver, et, en attendant, ce qui apparaît d’elle, comme l’éclair d’une lumière lugubre, c’est une passion furieuse et aveugle de nivellement ; une énergie effrayante et malheureusement victorieuse de dissolution ; elle abaisse et elle décompose ; elle déploie la force destructive d’un élément révolutionnaire, et rien de plus. Mesurez son action dans la politique : elle a fait voler en poussière les méthodes éprouvées, les combinaisons de la maturité humaine ; elle a dissous les idées et les traditions, et de cette poussière des traditions et des grandes idées politiques, vous voyez ce qui naît : la réhabilitation du vice et de la passion famélique, la haine distillée, en doctrine, la théorie de l’anarchie, la déprédation et la promiscuité érigées en système, — tout ce qui a fait frémir et reculer l’humanité, en se levant devant elle comme une vision sinistre dans ses heures de crise ! Observez les mœurs à leur tour : là aussi, ne sentez-vous point vivre et agir la même fureur inexorable de décomposition ? La démocratie a dissous les mœurs, à proprement parler, par la puissance de l’envie et de la jalousie qu’elle a fait germer entre les hommes, entre les classes, en énervant l’esprit de famille au profit de je ne sais quel sentiment d’une communauté supérieure, et même qu’elle émousse et éteint l’esprit national au profit de je ne sais quel cosmopolitisme humanitaire. En jetant cette confusion funeste dans les mœurs, sait-on ce qu’elle a détruit ? Elle a détruit la base même où s’appuient les caractères, le milieu où ils se forment, où ils se retrempent sans cesse et où ils peuvent contracter quelque originalité et quelque grandeur. Il est resté