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qui contracte ’le goût dépravé et frivole, l’amour des corruptions secrètes, le culte du faux éclat, l’impuissance d’un tact émousse et l’étourderie dans la contusion. Cet esprit a son armée, je l’ai dit dans cette masse de la médiocrité, jetée en conquérante par l’instinct de démocratie dans l’enceinte démantelée de l’intelligence, et il a aussi ses héros, que j’appellerai les Catilina de l’imagination. Pourquoi ne le dirait-on pas hardiment de ceux qui oublient si aisément parfois leur qualité d’écrivains, et ne s’en souviennent que pour s’éditer eux-mêmes et tenter le public par l’amorce de leur vieille renommée ?

Il n’est rien de plus douloureux peut-être, pour un esprit juste et sincère que de voir cette triste et fatale loi de décadence trouver son application dans une de ces intelligences qu’on s’était accoutumé à invoquer comme une vivante image de la poésie, de sentir se briser une de ces admirations qui vous relèvent vous-même. N’est-ce point un sentiment de ce genre que fait naître M. de Lamartine, quand on mesure les ravages faits dans cette ame par le souffle de tous les scepticismes et de toutes les malfaisantes influences contemporaines, quand on calcule la distance qu’il y a entre le Lac ou le crucifix et les Confidences ou Raphaël ? N’êtes-vous point frappé, chez l’auteur de la Chute d’un Ange, de cette simultanéité d’abaissement du tact moral et du tact littéraire, dont ses derniers ouvrages, fruits d’une imagination épuisée et qui se surexcite - elle-même, sont le vivant témoignage ? L’inspiration morale et le talent marchent du même pas dans cette voie de dégradation, et l’auteur en vient à penser à sente et à parler comme un héros de décadence. Non certes, ce n’est plus l’admiration qu’inspire aujourd’hui M. de Lamartine ; ce n’est point la haine non plus, qu’il en soit sûr ; c’est une impression d’une autre nature qu’il éveille, une impression que je ne qualifierai point et dont on ne peut se défendre en voyant cette intelligence naufragée réunir tous les dieux dans le panthéisme grossier de ses appréciations historiques et philosophiques, — le dieu de son enfance et les dieux infimes de la démagogie, — et, faire d’elle-même le sanctuaire banal de toutes les contradictions, de toutes les adorations et de toutes les sensualités.

C’est avec une sorte de candeur de cynisme que l’auteur des Confidences et de Raphaël s’obstine à dissiper les illusions que nous avions pu nous faire, et à nous dévoiler d’impurs amollissemens, de précoces corruptions, de malsaines inquiétudes dans ce lointain, où nous n’apercevions que l’amant de l’idéal, le chantre des nobles mystères du cœur. N’éprouvez-vous pas comme un serrement, en voyant ce poète, qui fut aimé de tous, s’enivrer aujourd’hui d’une phraséologie mystique et sensuelle qui ne laisse rien à profaner dans ses descriptions, — rien, pas même l’heure d’amour à laquelle il doit la lumière, — ou s’amuser à faire revivre ce triste et transparent héros, — Raphaël, qui ne sait