que déserter les devoirs sévères de la vie et accepte les derniers sacrifices de sa famille appauvrie, afin de pouvoir aller s’imbiber d’amour et se perdre en oisives contemplations aux pieds d’une femme athée qui ne demanderait pas mieux que d’apaiser ses désirs, mais qui est retenue par une ordonnance de médecin ? Une ordonnance de médecin ! n’admirez-vous pas la forme idéale que revêt, sous la main de l’auteur, le sentiment de la fidélité et du devoir ? J’ignore si M. de Lamartine a voulu nous faire aimer Raphaël : il nous le fait connaître du moins au prix de nos chimères de jeunesse ; et dans ce jeune homme, qui se résigne à vendre le dernier diamant de sa mère pour savourer quelques jours de plus une égoïste volupté, n’y a-t-il pas le germe de celui qui, sur une autre scène, peut déchaîner une révolution pour y briller et avoir le droit ensuite d’écrire ses commentaires, de parler de lui comme César ? Raphaël peut bien, après cela, s’avouer à lui-même qu’il eût pu être indifféremment Démosthène ou Caton, Tasse ou Mozart ; il ne fait que mettre à nu une autre des misères de notre temps, où par une coïncidence qui n’a rien d’étrange au fond, la corruption de l’intelligence se combine avec la recrudescence de l’orgueil individuel de l’orgueil ! je me trompe encore, ce n’est point même de l’orgueil, c’est une vanité puérile et maladive qui se caresse et s’exalte elle-même. Plus l’idéal des choses pâlit à nos yeux et s’abaisse, plus ce sentiment inférieur s’agite et se dresse comme un venimeux reptile. L’individualisme se couronne même de ses infirmités, la personnalité se fait jour avec un fiévreux emportement, la préoccupation de soi-même sert d’inspiration ; l’écrivain monte sur son trépied sans flamme pour vous entretenir de ses ambitions, de ses puérilités et de ses trafics : heureux encore quand il ne vous met pas dans la confidence de la manière dont il a dépecé quelques morceaux de son cœur pour préserver quelques morceaux de ses terres ! Voilà un des traits de l’abaissement du niveau moral et intellectuel ! Voilà la contagion qui a gagné M. de Lamartine et qu’il propage aujourd’hui !
Et, hier encore, n’aviez-vous pas sous les yeux, dans M. Hugo, une autre des personnifications les plus naïves de ce faux esprit littéraire, adorateur de lui-même, prétentieusement puéril et acharné au succès, qui mutile les élémens humains et les combine, non dans la mesure de la vérité, mais dans la mesure de ses caprices et de ses calculs ? Les doctrines de M. Hugo, sur ces crises qui effraient le monde, sont pour vous une énigme peut-être ; c’est que vous y cherchez quelque chose de politique, et de profond, et ce ne sont vraiment que des doctrines littéraires qui jettent leur dernier venin. Ne vous souvenez-vous plus de l’idée singulière de M. Hugo, que le poète est libre, qu’il peut croire « en Dieu ou aux dieux ; à Pluton ou à Satan… ou à rien ? » Oubliez-vous que l’auteur d’Angelo se crée, pour son usage, une société modelée