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immenses et continuels. On peut donc dire que le gouvernement américain n’a dans sa main aucun des grands intérêts du pays, et qu’il ne peut influer ni en bien ni en mal sur aucun des élémens de la prospérité nationale. Aussi le gouvernement peut être faible, inactif, malhabile impunément ; il peut être sans crédit au dehors et sans considération au dedans, sans que rien de vital dans la société américaine ressente les atteintes de ce mal toujours passager qu’une bonne élection corrige aussi facilement qu’une mauvaise élection l’amène.

La principale fonction du gouvernement américain est de représenter les États-Unis vis-à-vis des nations étrangères, et l’on comprend sans peine quelle liberté d’allure lui donne ce dégagement de toute direction et aussi de toute difficulté intérieure. Sa tâche est simple autant que celle des gouvernemens européens est compliquée. Non-seulement il n’a point à redouter au dedans le contre-coup d’une mauvaise politique au dehors, mais, comme les États-Unis ne peuvent prétendre à exercer aucune action sur les affaires de l’Europe, leur gouvernement n’a même point une influence extérieure à ménager ; peu lui importe au fond d’être en bons termes ou en démêlé avec quelques-uns ou même avec tous les gouvernemens du vieux monde : il lui suffit de surveiller et de défendre les intérêts commerciaux de l’Union. On s’expliquerait difficilement les habitudes querelleuses et le caractère entreprenant de la politique américaine, si le gouvernement des États-Unis n’était affranchi de tout souci intérieur, et si, au lieu de pouvoir apporter dans une lutte diplomatique une entière liberté d’action, une extrême obstination et jusqu’à de la témérité, il avait, comme les gouvernemens européens, à ménager mille intérêts, à tenir compte de la conduite probable de puissances voisines et rivales, et à empêcher les difficultés du dedans et du dehors de s’aggraver réciproquement. Dans leurs rapports avec les petites républiques américaines, les États-Unis montrent l’arrogance, la mauvaise foi et les habitudes spoliatrices du fort qui sait qu’il peut impunément écraser le faible ; vis-à-vis des nations européennes, ils savent habilement et hardiment mettre à profit l’avantage que leur donnent et leur position insulaire et la modicité de l’enjeu qu’ils exposent. Quand les nations européennes se font la guerre, elles mettent en péril leur influence dans le monde, leur territoire, leur indépendance et jusqu’à la forme de leur gouvernement. La guerre la plus malheureuse amènerait tout au plus aux États-Unis un changement d’administration, elle ne coûterait pas à l’Union un pouce de territoire, et se résumerait en une perte d’argent plus ou moins considérable. Aussi quelle nation, si puissante qu’elle soit, fût-ce même l’Angleterre ou la France, se résoudra autrement qu’à la dernière extrémité à faire aux États-Unis une guerre toujours difficile et coûteuse, et dans laquelle les plus belles victoires seraient stériles ?