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exhalé, depuis deux ans de violencesn de venimeux outrages adressés à l’art et à l’esprit, de haines matérialistes ou d’injurieuses négations, et que M. Proudhon exprimait avec sa crudité cynique quand il disait : « Travailler et manger, c’est, n’en déplaise aux écrivains artistes, la seule fin apparente de l’homme. Le reste n’est qu’allée et venue de gens qui cherchent de l’occupation ou qui demandent du pain. Pour remplir cet humble programme, le profane vulgaire a dépensé plus de génie que tous les philosophes, les savans et les poètes n’en ont mis à composer leurs chefs-d’œuvre. » C’est ce même sophiste intrépide qui triomphait à prouver dans son livre de la Philosophie de la misère que le talent est une difformité, que la littérature est le « rebut de l’industrie intelligente, » et que, pour l’observateur philosophe, ce qu’on nomme la décadence de l’art n’est, après tout, « que le progrès de la raison virile importunée plutôt que réjouie de ces difficiles bagatelles. ». Ne vous souvenez-vous plus de cet obscur déclamateur qui, dans un jour de verve et d’épanouissement, assignait devant son tribunal la gloire de Chateaubriand, la gourmandait dans je ne sais quelle logomachie révolutionnaire, et lui accordait plaisamment quelques années encore pour s’éclipser, comme un astre éteint, du ciel démocratique ? Joignez-y cette troupe bariolée d’enfans stériles et mal venus de l’esprit occupés chaque jour à délayer dans une prose malsaine les paradoxes de Rousseau, politiques de club ou de journal, humanitaires, utilitaires ; — que sont, pour ces puissans civilisateurs des peuples, et le génie, et l’art immortel, et le bon goût, et l’élégance de la pensée ? C’est la tradition rajeunie de ceux qui virent une fois dans les lumières de l’esprit un titre à la proscription, qui rangeaient parmi les suspects les hommes instruits, et qui écrivaient à la convention ces propres paroles : « L’esprit public est remonté dans ce département ; les savans, les beaux esprits, les plumes élégantes ne sont plus ! .. » C’est la tradition de ce divin M. de Robespierre, qui ne voyait dans les écrivains que des corrupteurs publics. Qu’il y ait pourtant de véritables corrupteurs publics, là n’est point le doute. Ce n’est point peut-être Corneille trempant dans l’airain l’ame de ses héros, ce n’est point Racine idéalisant et purifiant la passion humaine, ce ne sont point tant de maîtres élevés de la science et de l’inspiration, ou même tant de talens dont la première loi est le respect de leur art. Cherchez plus bas : ce sont aujourd’hui ceux-là qui ont « sali l’ame de la France, » ainsi que le disait éloquemment M. de Montalembert ; ce sont ceux qui souillent l’imagination de l’homme, lui arrachent une à une ses convictions et ses croyances, et qui, après avoir tout détruit en lui, — tout, sauf la notion de sa propre intelligence, — s’efforcent encore d’obscurcir ce dernier reflet de son immortalité. – Ainsi, soit haine violente et stupide pesant sur l’essor de la pensée, soit corruption secrète s’insinuant dans