Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/937

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et les chairs rôtissaient sur la braise fumante,
Et les vins ruisselaient de la cruche écumante,
Et, parmi les grands feux, tournoyant à grand bruit,
Les danses du pays hurlaient toute la nuit.

XI


Cet homme cependant reparut sur la scène :
Ce fut par un beau soir d’été, dans une plaine
De la Belgique, où tous les hommes de ce temps
Avaient pris rendez-vous pour un choc de Titans.
Cette plaine a deux noms, également célèbres
Waterloo, Mont-Saint-Jean synonymes funèbres,
Si grands qu’il n’en est qu’un de plus grand : Josaphat !
Il était venu là, lui, comme tout soldat,
Comme ce qui portait un fusil en Europe,
L’Écossais, le Cosaque odieux qui galope,
Fantassins, cavaliers ; au son de ce tambour
Qui les avait mandés tous pour le même jour.
La lutte était finie, — et, dans la vaste enceinte,
Le soleil, descendant derrière la Haie-Sainte,
Éclairait, comme un coin du jugement dernier,
Cinquante mille morts et pas un prisonnier ;
Seulement tous ces morts qui jonchaient cette plaine,
Au lieu de se lever, s’étaient couchés à peine.
L’empereur, accablé de l’immense revers.
Comme un joueur qui vient de perdre l’univers,
S’éloignait lentement de son champ de bataille ;
Son cheval harassé buttait sur la mitraille
Sans pouvoir le tirer de ce demi-sommeil
Qui des rêves affreux précède le réveil.
Pendant qu’il s’en allait, courbant son front livide,
Un homme vint qui prit le coursier par la bride :
C’était le montagnard. À ses grands traits hardis,
Il le reconnut bien pour l’avoir vu jadis,
Lorsque, jeunes tous deux, officiers dans les gardes
Urbaines, ils avaient combattu chez les Sardes.
Vingt ans s’étaient passés. En le retrouvant là,
Toute sa vie, un monde entier se déroula.
En ce moment suprême, un boulet qui se joue,
— Le dernier, — à leurs pieds s’enfonça dans la boue.
Cet homme avait, ainsi qu’un envoyé divin,
Vu le commencement et devait voir la fin !