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leurs différends, en un mot pour les diriger. Après s’être fait leur tuteur, il s’est fait leur patron, il a même été jusqu’à leur assurer certains privilèges dans ses règlemens, et en cela il a été trop loin, car son devoir est de tenir l’équilibre entre tous les intérêts, et il ne faut pas que des encouragemens accordés à des travailleurs subventionnés dégénèrent en un moyen de concurrence contre les travailleurs libres ; mais peu importe dans la circonstance. Les vices inhérens aux associations ouvrières étaient tellement profonds, et leur faiblesse était tellement incurable, que cette protection spéciale de l’état n’a pu exercer sur elles qu’une influence restreinte. Elle n’a fait que diminuer le chiffre des ruines.

Chose remarquable cependant : si ces associations ont été si faibles, ce n’est pas qu’elles aient mis en pratique les doctrines industrielles de ceux qui se proclament leurs fondateurs et leurs soutiens. Si elles avaient suivi ces doctrines, nul doute que leur ruine eût été plus prompte ; mais elles se sont bien gardées de les appliquer, et c’est là un argument décisif qu’il ne faut jamais se lasser de reproduire toutes les fois qu’on en trouve l’occasion. Qui n’aurait cru, en effet, que ces malheureux ouvriers, à peine sortis de la fournaise du Luxembourg, parvenus enfin à former des associations ; maîtres d’eux-mêmes et parfaitement libres d’insérer dans leurs statuts toutes les clauses qu’il leur plairait d’imaginer, ne se fussent empressés de réaliser les chimères dont on avait rempli leur cerveau ? Qui les empêchait alors de déclarer que tous les salaires seraient égaux, que tous les pouvoirs seraient également partagés entre les associés, que tout serait de niveau et en commun ? Eh bien ! c’est justement le contraire qu’ils ont fait. On leur avait dit : Partagez également les salaires ; ils ont voulu que les salaires fussent différens, et généralement là où l’égalité des salaires a été proposée, il y a eu des protestations unanimes. On leur avait dit : Partagez également les attributions ; ils ont nommé des gérans, des conseils d’administration, des conseils de surveillance ; ils ont cherché à organiser, tant bien que mal, une hiérarchie. Ce n’est pas tout. On leur avait dit : Plus de travaux à l’entreprise, plus d’exploitation de l’homme par l’homme, et il est arrivé dans certaines associations que les ouvriers se sont faits entrepreneurs, et que des frères ont exploité leurs frères avec la subvention du trésor. Ces associations, et ce sont à peu près les seules qui aient prospéré, ont appelé auprès d’elles des ouvriers auxiliaires qu’elles ont payés à la journée. Or ce système, en termes d’industrie, s’appelle tout simplement le marchandage, et tout le monde sait que le marchandage est une excellente chose : c’est un progrès réel, un échelon, par lequel l’ouvrier intelligent et actif s’élève à la condition d’entrepreneur ; mais ce n’est pas un progrès de faire le marchandage avec les fonds de l’état.

Les élections auront lieu le 10 mars. Les partis sont en présence et dressent leurs listes préparatoires. Comme toujours, ce sont les adversaires du parti de l’ordre qui ont pris les devans, et qui lui offrent l’utile secours de leur exemple. Les adversaires du parti de l’ordre seront partout fidèles à leur vieille tactique, qui est de ne pas se diviser au scrutin. Il y a peu de jours encore, on s’injuriait d’un camp à l’autre, on se lançait des anathèmes et des imprécations, se ridiculisait à qui mieux mieux. Et nous, qui assistions à cette lutte fratricide,