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nous nous disions : Laissons ces excellens frères se déchirer, entre eux, puisqu’ils le veulent ; pendant qu’ils se mangeront les uns les autres, ils ne songeront pas à nous dévorer. Mais aujourd’hui la paix est faite ; l’harmonie est rétablie entre toutes les sectes. Les démocrates et les socialistes, les purs et les exaltés, les démagogues de toutes couleurs n’auront qu’une seule liste, et, sur cette liste, ce sont naturellement les couleurs les plus tranchées qui domineront. La république pure ira grossir les rangs du socialisme le plus rouge et le plus effréné. Après cela, bien extravagans ou bien coupables seraient ceux qui, dans le parti modéré, s’imagineraient qu’il leur est permis de discuter et de remanier les listes définitives arrêtées par les comités de Paris et des départemens. Électeurs du parti de l’ordre, vous n’avez qu’une seule conduite à tenir. Faites des listes préparatoires : c’est le seul moyen de ne pas éparpiller vos votes. Faites des listes préparatoires : c’est le seul moyen de corriger, pour le moment, le suffrage universel, en le transformant en une sorte d’élection à deux degrés ; mais, une fois vos listes arrêtées, n’y changez rien. Votez les yeux fermés la liste de vos comités électoraux. Que personne ne s’imagine qu’il a à lui seul plus d’esprit que tout le monde, et qu’il lui est permis de faire usage de son esprit. Autrefois, et dans certaines circonstances ; ce pouvait être une preuve de bon sens, et assurément de conscience, de ne pas se mêler au gros de la foule des partis politiques, de garder son indépendance et son libre arbitre, d’observer la neutralité, et cette neutralité intelligente avait quelquefois son bon côté ; mais aujourd’hui la politique de tout le monde est d’obéir aveuglément à la consigne. Le suffrage universel avec le scrutin de liste n’admet plus que des automates. Soyons donc des automates, puisqu’il le faut, et puisque d’ailleurs il n’y a pas si grande humiliation à être un automate en politique, quand tout le monde l’est.

Les affaires de la Grèce continuent d’attirer l’attention de l’Europe. Il y a là une grande énigme ou une misérable incartade. Tout le monde maintenant sait quel était le but de lord Palmerston et de ses agens. Il voulait exciter une révolution en Grèce, et nous lisons partout que les agens anglais disent aux Grecs : voulez-vous vous délivrer d’un blocus qui vous ruine ? Renvoyez votre roi ! Singulier jeu que celui que joue lord Palmerston ! Dans les îles Ioniennes, l’Angleterre réprime avec la dureté la plus énergique les moindres tentatives d’insurrection, et elle se plaint que l’esprit révolutionnaire ait essayé d’agiter le repos des îles de l’Adriatique. En même, temps et à quelques pas de là, l’Angleterre essaie elle-même de faire une révolution. Loin d’y réussir, elle ne fait que resserrer les liens qui unissent la Grèce à son roi. Les agens anglais s’étonnent de ce résultat ; mais ils n’en persistent pas moins dans leurs mesures de violence. Quant à nous, nous ne sommes pas surpris que les agens anglais aient si mal prévu l’effet du guet-apens qu’ils ont dressé à la Grèce. Les agens anglais ne daignent pas, en général, savoir les sentimens du pays où ils résident ; ils se contentent de savoir quel est dans ce pays, l’intérêt de l’Angleterre ; de tout le reste, ils se soucient peu. Auraient-ils vu que l’intérêt de l’Angleterre est que la Grèce ne prospère pas, et qu’elle n’ait ni commerce ni marine ? On le croirait, en vérité, à voir l’attention persévérante que met l’Angleterre à entraver les progrès du royaume hellénique.