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à l’horizon. La diplomatie travaillait sourdement à brouiller les cartes. Ses protocoles devenaient menaçans, et on apprit tout à coup que Mlle Sontag allait quitter le théâtre pour se vouer à des devoirs plus austères. Un lien secret l’unissait depuis un an au comte de Rossi, qui n’entendait point partager son bonheur. Mlle Sontag fit ses adieux au public parisien dans une représentation au bénéfice des pauvres, qui eut lieu à l’Opéra en janvier 1830. De retour à Berlin, les instances de ses amis et de ses nombreux admirateurs lui firent consentir à donner encore quelques représentations, et elle quitta définitivement le théâtre deux mois avant la révolution de juillet ; mais, avant d’accepter le nouveau rôle qu’elle s’était choisi dans la vie, avant de se dépouiller de la brillante renommée qu’elle s’était si justement acquise, Mlle Sontag fit un voyage en Russie, donnant à Varsovie, à Moscou, à Saint-Pétersbourg, et puis à Hambourg et dans d’autres villes importantes de l’Allemagne, des concerts aussi brillans que fructueux. C’est après ce voyage que, sous le nom de Mme la comtesse de Rossi, suivant la fortune de son mari, elle passa successivement plusieurs années à Bruxelles, à La Haye, à Francfort et à Berlin, ne se faisant plus entendre que dans les réunions de cette haute société européenne que la révolution de février est venue ébranler jusque dans ses fondemens.

Mlle Sontag possédait une voix de soprano très étendue, d’une grande égalité de timbre et d’une merveilleuse flexibilité. Dans l’octaves supérieure ; depuis l’ut du médium jusqu’à celui au-dessus de la portée, cette voix tintait délicieusement comme une clochette d’argent, sans que jamais on eût à craindre ni une intonation douteuse, ni un défaut d’équilibre dans ses exercices prodigieux. Cette rare flexibilité d’organe était le résultat des munificentes de la nature fécondées par des travaux incessans et bien dirigés. Jusqu’à son arrivée à Vienne, où elle eut occasion d’entendre les grands virtuoses de l’Italie, Mlle Sontag n’avait été guidée que par son heureux instinct et le goût plus ou moins éclairé du public à qui elle s’était fait entendre. C’est aux conseils de Mme Mainvielle-Fodor, et plus encore à l’exemple que lui offrait chaque jour le talent exquis de cette admirable cantatrice, que Mlle Sontag a dû l’épanouissement de ses qualités natives qui jusqu’alors étaient restées comme renfermées dans leur calice. La lutte avec des rivales comme Mme Pisaroni et Mme Malibran, ces combats héroïques qu’elle eut à soutenir sur les théâtres de Vienne, de Paris et de Londres achevèrent de donner à son talent ce degré de maturité savoureuse qui avait fait de Mlle Sontag une des cantatrices les plus brillantes de l’Europe.

Dans le magnifique écrin de vocalises de toute nature que Mlle Sontag déroulait chaque soir devant ses admirateurs, on remarquait surtout la limpidité de ses gammes chromatiques et l’éclat de ses fripes qui scintillaient comme des rubis sur un fond de velours. Chaque note de ces longues spirales descendantes ressortait comme si elle eût été frappée isolément et se rattachait à la note suivante par une soudure imperceptible et délicate. Et toutes ces merveilles s’accomplissaient avec une grace parfaite, sans que le regard fût jamais attristé par le moindre effort. La figure charmante de Mlle Sontag, ses beaux yeux bleus, limpides et doux, ses formes élégantes et sa taille élancée et souple comme la tige d’un jeune peuplier achevaient le tableau et complétaient l’enchantement.