Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/961

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mlle Sontag s’est essayée dans tous les genres. Née en Allemagne au commencement de ce siècle tumultueux, elle a été nourrie de la musique vigoureuse et puissante de la nouvelle école allemande, et a obtenu ses premiers succès dans les chefs-d’œuvre de Weber. À Paris, elle a abordé successivement les rôles de Desdemona, de Semiramide et celui de dona Anna dans le chef-d’œuvre de Mozart. Malgré l’enthousiasme qu’elle paraît avoir excité parmi ses compatriotes par la manière dont elle a su rendre l’inspiration dramatique de Weber, enthousiasme dont on peut trouver l’écho dans les œuvres de Louis Boerne ; malgré les qualités brillantes qu’elle a déployées dans le rôle de Desdemona et surtout dans celui de dona Anna, qui lui fut imposé presque par la jalousie de Mme Malibran, c’est dans la musique légère et dans le style tempéré que Mlle Sontag trouvait sa véritable supériorité. Le rôle de Rosine du Barbier de Séville, celui de Ninette de la Gazza Ladra, d’Aménaide de Tancredi et d’Elena de la Donna del Lago, ont été ses plus belles conquêtes. Le cri pathétique ne pouvait pas s’échapper de ces lèvres fines où brillaient la morbidesse et le demi-sourire de la grace ; l’explosion du sentiment ne venait jamais altérer les lignes pures de son visage ni colorer de pourpre cette peau blanche et lisse comme du satin. Non, dans ce corps élégant qui fuyait devant le regard avide comme une vapeur légère, la nature n’avait point déposé de germes créateurs. L’étincelle électrique, en traversant ce cœur placide, n’y allumait jamais le foyer divin et n’y faisait point éclater les magnifiques tempêtes de la passion. Voilà pourquoi aussi Mlle Sontag a consenti à courber sa tête charmante sous le joug de l’hyménée et à descendre d’un trône où elle s’était élevée par la toute-puissance du talent pour devenir la comtesse de Rossi. Qui sait pourtant si des regrets amers ne sont pas venus depuis troubler le repos qu’elle s’était promis ? qui sait si Mme l’ambassadrice, au milieu des tristesses de la grandeur, n’a pas jeté un regard mélancolique sur les belles années de sa jeunesse, alors que tout, un peuple d’admirateurs la couronnait de roses et d’immortelles ? M. Auber et M. Scribe, dans leur joli opéra de l’Ambassadrice, ne nous auraient-ils pas raconté L’histoire de Mlle Sontag devenue la comtesse de Rossi ?

La voix de Mme Sontag est assez bien conservée. Si les cordes inférieures ont perdu de leur plénitude et se sont alourdies un peu sous la main du temps, comme cela arrive toujours aux voix de soprano, les notes supérieures sont encore pleines de rondeur et de charme. Son talent est presque aussi exquis qu’il l’était il y a vingt ans, sa vocalisation n’a rien perdu de la merveilleuse flexibilité qui la caractérisait autrefois, et, sans beaucoup d’efforts d’imagination, on retrouve aujourd’hui dans Mlle Sontag le fini, le charme, l’expression tempérée et sereine qui la distinguaient parmi les cantatrices éminentes qui ont émerveillé l’Europe depuis un demi-siècle. Accueillie avec distinction par un public d’élite qui était accouru au bruit de sa gloire et de son infortune, Mme Sontag a chanté avec un grand succès plusieurs morceaux de son ancien répertoire. Parmi ces morceaux on a surtout remarqué les variations de Rode, sorte de canevas mélodique mis à la mode par Mme Catalani, et sur lequel Mme Sontag a brodé les arabesques les plus ingénieuses et les plus adorables. Une gamme ascendante lancée à fond de train et passant devant l’oreille éblouie comme un ruban de feu, a suscité les plus vifs transports. Au second concert