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cet éclat ne s’est point soutenu. Ils ont produit une grande somme de science ; de liberté et de bien-être ; mais le goût du droit, vivement surexcité, a fait oublier le devoir : l’amour de l’aisance a détourné de la vie de sacrifice et de dévouement ; enfin la science, en exaltant la raison pure, a créé dans les consciences un universel scepticisme. Le chef actuel de l’école philosophique en France a divisé les manifestations de l’humaine intelligence en deux époques principales, celle de la spontanéité ou de la foi et des religions, celle de la réflexion ou de la science et des philosophies. Qui vaut le mieux de la spontanéité pure et simple accompagnée de fortes croyances ou de la réflexion suivie du scepticisme ?

M. Mackinnon a décliné cette question de principe et de croyance, qui aurait eu pour l’époque actuelle un si vif attrait. En revanche, s’il a négligé la partie métaphysique du problème, il a sainement apprécié le rôle des lois et des hommes dans le mouvement des sociétés. Placé au point de vue de l’Angleterre constitutionnelle, il est dans la position la plus favorable pour juger la civilisation par son côté pratique. Il sait tout ce que son pays doit à la sagesse de sa législation politique et aux vertus civiques de ses hommes d’état. Quoiqu’il faille attacher une importance de premier ordre à la question des institutions, celle des hommes en a peut-être une plus grande encore. L’un des compatriotes de M. Mackinnon, M. Disraëli, dans un de ses romans politiques, a fait remarquer avec raison que les institutions les meilleures ne sont rien sans les hommes, et que les hommes, avec une forte discipline intellectuelle, remédient sans peine au vice des lois. Rien de plus vrai. Nos aïeux, avec des lois détestables, sans équité et sans unité, n’ont-ils pas atteint au plus haut degré de la vie sociale ? Tout au contraire, avec des lois incontestablement supérieures sous le rapport de la justice et de la science, nous trairions péniblement une existence sans énergie. Tout revient donc en définitive à une question de discipline intellectuelle.

« C’est dans le gouvernement républicain, dit Montesquieu, que l’on a besoin de toute la puissance de l’éducation. » L’on sait quelle était sur le même sujet la pensée du père de la république démocratique et sociale, de l’auteur d’Émile ; on sait combien il se montra préoccupé de la discipline propre à faire des citoyens en vue de cet exercice de la souveraineté individuelle, dont il a été le premier théoricien. Tous les maîtres qui, depuis les deux grands disciples de Socrate, ont traité du gouvernement et de la société ont proposé aux hommes d’état l’éducation publique pour principal objet. C’est aux démocraties qu’il est donné de comprendre le mieux cette indication de la science. Elles ne peuvent subsister qu’à force de bon sens et de génie ; elles ne parviennent à se maintenir qu’à la condition que les classes lettrées y prennent, par leur intelligence et par leurs vertus, assez d’ascendant pour suppléer à la faiblesse des institutions. En parlant de la charte de 1830, M. Mackinnon a signalé le danger qu’il y aurait à étendre la jouissance du droit politique à tout le peuple avant que le caractère moral et politique de ce peuple l’eût rendu apte à en jouir. La force a tranché la question. Le danger a éclaté à la fois dans la moitié de l’Europe. Il s’agit pour les classes lettrées de conserver ou de reprendre avec énergie l’influence et l’empire, ou les sociétés périssent. Par bonheur, l’ascendant des lumières a sur l’ignorance des masses plus d’autorité que