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bras au ciel en s’écriant : Voici mes mains, ma tête et mon corps. S’il entendait dire que des menaces de mort eussent été proférées quelque part contre lui, il y courait aussitôt. Presque toujours son exaltation et sa patience fascinaient ou épouvantaient ses assaillans : plus tard, ils revoyaient en esprit le prophète qu’ils avaient outragé, et les malheurs qui leur arrivaient devenaient, à leurs yeux, des punitions du ciel.

Ainsi vécut-il, sinon jusqu’à son dernier jour, au moins jusqu’à l’avènement de Charles II. Soit que les changemens survenus dans l’état de la société eussent rendu impossibles d’aussi fougueuses prédications, soit que l’âge eût quelque peu tempéré son insatiable besoin de mettre en accusation l’univers entier, les dernières années de sa vie furent plus calmes ; il les employa à organiser son église avec le concours de ses principaux disciples. Sa parole avait fructifié. Les habitans des campagnes surtout avaient embrassé avec enthousiasme sa doctrine. Les quakers formaient déjà une véritable population.

En racontant la vie de Fox, j’ai raconté celle des premiers apôtres qui se levèrent à sa voix pour aller porter témoignage contre les superstitions, la vanité, la violence et le mensonge. Comme lui, tous étaient profondément convaincus de leur infaillibilité, tous se regardaient comme des saints délivrés de tout péché, tous étaient doués du don de prophétie ; mais tous aussi avaient en eux un certain héroïsme, le mépris du danger et la passion de la sincérité.

Qu’étaient-ce donc que ces hommes étranges ? quel sens devons-nous attacher à ce berger-prophète ? Ne nous hâtons pas trop de sourire ; ne nous exagérons pas surtout ce qu’il pouvait y avoir de personnellement exceptionnel dans le réformateur lui-même. Ce qu’il avait vraiment de particulier resterait insaisissable pour nous, si nous ne distinguions pas bien d’abord ce qu’il devait à son temps et aux faiblesses communes à tous les temps. Qu’un homme exalté et ignorant se soit cru capable de régénérer l’humanité, il n’y a rien là d’insolite. Nous aussi nous n’avons pas manqué de prophètes, qui, sans rien savoir, ont crié malheur sur la société, et qui, avec des mots, n’ont pas douté de pouvoir renverser les lois naturelles de l’univers. Nous aussi nous avons vu nos sages, nos mathématiciens et nos philosophes écouter gravement de semblables entrepreneurs de miracles, et dans deux siècles je ne sais trop ce qui paraîtra le plus fabuleux, de l’Angleterre qui produisait des Fox, ou de la France qui s’applaudissait de ses clubs comme d’un réveil de l’humanité. La présomption a pris un autre cours, et le langage n’est plus le même, voilà tout. En 1848, on parle de principes incontestables d’où découlent des conséquences nécessaires ; en 1648, au lieu d’attribuer ses convictions à l’évidence de la vérité, on les attribuait à une révélation. « La religion était la