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à votailler et à nous répéter l’un à l’autre : Tout va au mieux, tout va au mieux ! Par leurs nobles luttes, nos pères nous ont fait ce monde anglais où l’existence nous est possible ; par de rudes travaux, et non par de vains bavardages et de vains sourires, ils ont changé la forêt sauvage en un champ habitable, et nous, nous nous sommes endormis dans la folle espérance que les moissons pousseraient d’elles-mêmes !… Rien ne vient aux hommes pendant leur sommeil. Maintenant il se trouve que notre champ est dans un état et nous donner de sérieuses inquiétudes : de nouveau il réclame de vrais travaux et une véritable agriculture… Si je comprends bien les chartismes effrénés, les agitations irlandaises, les républiques rouges et tous ces autres hurlemens et beuglemens inarticulés, qui ne sont, bien évidemment, que des cris de douleur, c’est un état-major que réclament les esclaves de l’imprévoyance et des appétits désordonnés. L’éternel, l’imprescriptible droit des étourdis est d’être gouvernés par les sages, d’être mis dans le droit chemin par ceux qui en savent plus long qu’eux. »

De l’autorité, oui, de l’autorité, dirons-nous aussi, et cela dans l’intérêt surtout de la liberté, de la vraie liberté. La plus funeste de nos erreurs est d’avoir confondu sa cause avec celle de la démocratie, d’avoir cru que le progrès, le bien-être et le libre jeu des élémens sociaux étaient en proportion de l’influence politique des masses[1]. La liberté d’une nation se mesure au nombre des aptitudes qui peuvent s’y exercer à la fois, et la plus grande somme possible de liberté ne saurait être obtenue qu’au moyen de la loi qui sait combiner avec harmonie le plus grand nombre possible des énergies existantes, qui mieux que toute autre peut les faire coexister sans chaos et sans secousses. Pour que la liberté augmente, il faut donc que la loi devienne plus intelligente, en d’autres termes, que l’autorité échappe de plus en plus eu contrôle et aux illusions de l’ignorance.

Mais comment obtenir la meilleure autorité ? Qui doit gouverner ? Est-ce un sage ? est-ce une assemblée de sages ? Le rôle du pouvoir est-il uniquement de défendre et de punir ce qui a été reconnu comme nuisible ? Est-il, au contraire, d’ordonner et d’imposer à chacun ce que

  1. Si les hautes études ne sont pas en France ce qu’elles sont en Allemagne et en Angleterre, cela ne tiendrait-il pas à ce que nous avons supprimé nos universités pour les remplacer par des colliges où le professeur est forcé de se mettre à la portée du commun des élèves, c’est-à-dire de subir le règne des masses ? Si la philosophie n’est pas libre dans ses chaires, ne serait-ce pas parce que le monopole universitaire a obligé les parens à faire suivre à leurs enfans les cours de tels professeurs, et que naturellement les familles ont dû obtenir le droit plus ou moins indirect de décider ce que les professeurs pourraient ou ne pourraient pas enseigner ? Qui sait si l’invasion des masses dans les rangs du clergé n’est pas une des principales causes de son esprit retardataire ? Dans les églises congrégationalistes, où le pasteur est soumis au contrôle de sa congrégation, la théologie est tristement bâillonnée. En dépit des idées du jour, l’histoire le dit assez clairement : les aristocraties ont seules progressé, et toutes les républiques de l’antiquité ont péri par l’appel au peuple, dont les étourderies ont toujours amené le triomphe d’une tyrannie.