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lui-même peut croire convenable ? Sur tous ces points, M. Carlyle est fort entier, et, comme M. de Lamartine, quoique dans un autre sens, il nous semble s’être laissé duper par les apparences. Pour lui, l’intelligence des sages a pris corps dans la personne des sages. Ce n’est pas l’ensemble de l’expérience acquise qu’il veut faire asseoir sur le trône c’est la phalange des génies, des hommes supérieurs. « L’univers, nous dit-il, est une hiérarchie et une monarchie. Chacun y vote à son aise, avec pleine liberté de choix, avec pleine possession de son libre arbitre ; mais à toutes ces libertés sont attachées des conditions inexorables et incommensurables. C’est une fort libre communauté d’électeurs, oui ; seulement elle a pour président l’éternelle justice, appuyée de la toute-puissance. Cette constitution-là est le modèle des constitutions, et partout où le devoir divin et éternel de diriger et contenir les bassesses ne sera pas confié au plus noble, à la supériorité suprême, avec son cortége choisi de véritables nobles, le règne de Dieu n’arrivera pas. Les noblesses en haut lieu, les bassesses en bas lieu, telle est par tous les temps et tous les pays la loi du Créateur. »

Nous connaissons maintenant le fond de la pensée de M. Carlyle. Suivant lui, l’origine et la fatale raison d’être de toutes nos révolutions, c’est que les anciens gouvernans n’ont pas été les vrais nobles, c’est que les vieux procédés et les urnes électorales n’ont pas porté en haut lieu, les supériorités réelles. « Les prétendus guides n’ont pas guidé, ils étaient des aveugles qui n’avaient que la prétention de voir. Les rois ont été des contrefaçons de rois, des rois de parade qui avaient revêtu le costume de l’emploi et qui en touchaient les honoraires sans en faire la besogne ; les évangiles qu’ils prêchaient n’étaient point un compte-rendu véridique de la position réelle de l’homme sur la terre, mais bien une compilation incohérente, un assemblage de fantômes morts et d’ombres encore dans les limbes, de traditions, d’hypocrisies, d’indolences et de poltronneries, un mensonge fait de mensonges qui, à la, fin, ont cessé d’adhérer… Le mal n’est pas ailleurs, et le salut ne peut venir que du moyen (quel qu’il soit) qui fera arriver au pouvoir, non pas les nobles du tailleur de cour, non pas les nobles de monseigneur le journaliste, ni ceux du parterre on du paradis, mais les capacités authentiques, les magnats du Tout-Puissant, ceux qui sont sacrés par leur aptitude, ceux à qui le ciel a donné l’investiture en leur accordant la faculté de découvrir les divines destinations des choses et les lois souveraines dont l’observation donne le bonheur et la victoire, dont la viciation entraîne et entraînera à jamais la défaite et la souffrance pour tous les enfans d’Adam. »

Tout à coup, par une de ces boutades qui lui sont familières. M. Carlyle personnifie sous les traits d’un premier ministre le pouvoir qu’il rêve, et il lui met à la bouche une longue allocution à l’adresse