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les aiment pas, s’ils ont décrété à leur égard des peines inexorables et implanté dans tous les cœurs créés de Dieu une haine naturelle contre eux, alors, je vous le conseille, hâtez-vous de changer de voie… Quant à moi, si j’avais à gouverner ou à réformer une communauté, ce ne serait pas sur les régimens de ligne du diable que je commencerais par concentrer mon attention. Avec eux, j’en aurais promptement fini. J’aurais recours au balai pour les balayer, en un tour de main, dans le sceau aux ordures bien loin du sentier des honnêtes gens… Qui êtes-vous donc, diabolique canaille, pour qu’un conducteur d’hommes s’occupe tant de vos intérêts ? Non, par l’Éternel l ce n’est pas à vous qu’appartiennent ses pensées : elles appartiennent aux vingt-sept millions de mortels qui ne se sont pas encore tout-à-fait déclarés pour le diable. Les malfaiteurs n’ont pas besoin de protection ; si un scélérat est décidé à arriver au gibet, qu’on lui ouvre passage et qu’on l’y suspende. – De quel droit ? dira-t-il. — Misérable, lui répondrai-je, nous te haïssons, et depuis six mille ans nous nous sommes aperçus que tout l’univers nous ordonnait de te haïr, non d’une haine diabolique, mais d’une haine divine. Dieu lui-même, on nous l’a toujours enseigné, a pour le péché une éternelle haine authentique et céleste. Il le poursuit d’une hostilité impitoyable, à laquelle n’échappe nul coupable, et qui finit toujours par anéantir le malfaiteur, par l’effacer du nombre des choses : la trace de sa justice est comme celle d’un glaive flamboyant ; quiconque a des yeux peut la voir passer divinement belle et divinement terrible à travers le gouffre chaotique de l’histoire humaine. Partout, dans la destinée de chaque homme comme dans l’histoire de l’humanité, il peut l’apercevoir triant le vrai du faux, laissant la vie à ce qui est digne de vie, consumant d’un feu implacable ce qui est digne de mort, et mettant de la sorte le cosmos de Dieu à la place du. chaos du diable… Oui, ainsi fait-elle, ainsi apparaît-elle à tout homme qui est un homme et non une brute mutine… Pour toi, misérable, cela est tout-à-fait incroyable ; pour nous, cela est la majestueuse et terrible certitude, l’éternelle loi de cet univers, que tu y croies ou que tu n’y croies pas. Et nons, de peur de nous rendre complices du défi que tu as lancé à Dieu et à l’univers, tous n’osons pas te permettre de demeurer plus long-temps parmi nous ; comme un déserteur qui a fui les rangs où tous les hommes doivent se tenir à leur éternel risque et péril, comme un déserteur qui a été arrêté les mains encore rouges de sang et qui a bien évidemment combattu contre l’univers et ses lois, nous t’expulsons solennellement de notre communauté pour te renvoyer au sein de l’univers. »

Ces énergiques paroles méritent d’être écoutées : quoique M. Carlyle manque quelque peu de mesure, il est bien près, si je ne me trompe, bien plus près que dans son premier pamphlet d’avoir entrevu le sens de cette démocratie qu’il s’était proposé d’interroger. En tout cas, il a bien saisi l’esprit du siècle. Nos actes et nos paroles ne confirment que trop son dire. Il est de mode de s’apitoyer sur les souffrances, d’où qu’elles viennent, et d’aimer l’humanité en bloc, y compris les méchans comme les bons. Les intentions charitables ne s’emploient pas à enseigner aux hommes à bien faire pour qu’ils puissent recueillir les fruits des bonnes œuvres ; elles ne se proposent pas de remédier aux misères