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en cherchant à guérir les populations des folies et des impuissances dont les misères sont les conséquences. Nullement, elles tirent au plus court ; pour réformer la société et faire régner le bonheur, elles veulent que les fautes puissent se commettre sans être punies, que la paresse et l’étourderie prospèrent comme le travail et la prévoyance, que l’émeutier soit traité en frère comme celui qui respecte la loi. Nous avons résolu de supprimer le châtiment, celui qui vient de Dieu et celui qui vient des hommes. Est-ce là de la générosité ? est-ce un symptôme de bon augure ? Nous le croyons ; nous célébrons cette sentimentalité banale comme une preuve que les principes destructeurs et les forces qui tuent ont fini leur temps : nous y voyons l’aurore de la fraternité universelle. Au milieu de ces illusions générales, M. Carlyle, lui, a su reconnaître que tout cela attentait à une loi vitale. Il y a en lui du voyant, il y a dans des paroles comme celles-ci, par exemple, le cachet d’une inspiration prophétique.


« Des récompenses et des peines : hélas ! hélas ! je dois dire que vous récompensez et punissez à peu près de même façon. Vos dignités, vos pairies, vos statues de bronze en l’honneur des demi-dieux de votre choix à vous, témoignent assez hautement de l’espèce de héros que vous vénérez. Malheur au peuple qui ne sait plus distinguer le mérite du démérite ! Par une pente trop certaine, par une nécessité trop évidente, il tombera entre les mains des indignes, et, s’il ne s’arrête pas dans sa folle carrière, il ira se perdre de chute en chute dans la ruine et le néant. Voilà dix-huit cents ans que le peuple hébreu chante prophétiquement dans nos rues : Vieux habits, vieux galons… Négligez de traiter le héros comme un héros, vous aurez inévitablement à en porter la peine ; elle pourra ne pas venir tout de suite… Ce n’est pas tout d’un coup que vos trente mille couturières, vos trois millions de mendians, vos Irlandais virtuellement retombés dans le cannibalisme et autres belles conséquences de votre aveuglement viendront frapper à votre porte : ils n’en viendront pas moins… Mais négligez de traiter comme des gredins vos gredins les plus patens, cela est la dernière goutte qui fait déborder le vase. Immense et terrible, le châtiment arrivera vite. L’oubli du juste et de l’injuste, parmi les masses de votre population, ne se fera pas attendre. L’épidémie de la bienfaisance de tribune et des paradis pour tous pêle-mêle ne se fera pas attendre. Au milieu de la putréfaction de vos religions, comme vous les appelez, une étrange religion nouvelle, nommée la religion de l’amour universel, avec Sue, Balzac et compagnie pour évangélistes et Mme Sand pour vierge, ne se fera pas attendre, et les résultats qui sortiront de ces résultats vous étonneront considérablement. »


À tout ce qui précède nous n’avons qu’une restriction à faire. Si le propre de l’espèce humaine était en effet d’apprécier le mérite et le démérite, si chez elle ce n’était qu’une maladie, un fait exceptionnel de ne point faire de distinction entre le bien et le mal, le premier devoir à lui enseigner serait certainement celui de ne jamais pardonner comme de ne jamais faire l’aumône aux misères méritées, car il est