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bien évident que pardonner les fautes c’est les encourager. Malheureusement la masse des hommes n’est point en état d’exercer le rôle de justicier. Au lieu de juger chacun d’après ses œuvres et d’agir en conséquence envers chacun, ils agissent envers tous d’après l’instinct qui est en eux-mêmes. Quand ils ne sont pas bons pour le mal et le bien, ils sont rudes pour le bien et le mal. À l’époque où les parens savaient punir les fautes de leurs enfans, ils ne savaient pas être affectueux ; maintenant qu’ils savent l’être, ils ne savent plus être sévères.

Pour avoir un peu trop oublié ces choses, M. Carlyle a prononcé plus d’une parole dangereuse. Ainsi il maltraite vertement ceux qui pensent que la loi et ses sévérités ont pour unique but de protéger la communauté et de contenir les mauvaises intentions. Punir ce qui a été reconnu comme nuisible n’est pas la tâche qu’il assigne à l’autorité. Au lieu de renvoyer le législateur à l’expérience, il le renvoie trop à son sentiment du juste et de l’injuste, à l’oracle qui sait la valeur absolue des choses. Il veut enfin que le pouvoir punisse et récompense, « pour accomplir à l’égard de chacun la volonté de Dieu. » L’évangile qu’annonce M. Carlyle a déjà fait ses preuves. « Loin de conduire à toutes les éminences terrestres et au-delà même des astres, » il a mené droit à toutes les haines et à toutes les guerres. Ce qu’il a apporté, c’est le machiavélisme et l’idée que la fin justifie les moyens ; c’est le saint devoir de brûler quiconque n’admet pas nos principes éternels ; c’est la méthode pratique de nos docteurs humanitaires qui adorent tous les hommes en général, parce qu’ils les supposent tout autres qu’ils ne sont, et qui, dès qu’ils les connaissent, en viennent à les haïr « pour s’éveiller un jour, à leur grande surprise, la main sur le cordon d’une guillotine. » N’empiétons pas sur les attributions du Très-Haut. En voulant gouverner d’après leur conscience, les sages eux-mêmes ne gouverneraient que d’après des systèmes à priori. À eux de sténographier chaque jour ce que Dieu a fait, à eux de concevoir les choses comme des faisceaux de propriétés capables de produire les effets qu’elles ont produits, à eux enfin de rédiger l’expérience, mais à elle seule de régner, à elle seule de fixer ce qui doit être puni. Que la société se défende, rien de plus. En demandant davantage, M. Carlyle n’a pas seulement nui à sa thèse, il a combattu contre lui-même. S’attaquer à la moralité de notre époque, lui reprocher d’avoir perdu une faculté-conscience que possédaient les autres époques, c’est la tromper sur le véritable siège de sa maladie. Il n’est pas vrai que les hommes, du passé aient jamais eu plus que nous l’instinct de reconnaître et d’honorer les héros, et c’est un vain rêve que d’attendre notre rénovation d’un réveil de cette merveilleuse tendance. De tout temps, le monde n’a eu d’admiration que pour les chantres de l’idéal, les poètes du sentiment, les prêtres du désir, Les choses se sont passés constamment