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sur leurs adversaires ! Qu’ils fassent abnégation de leurs prétentions particulières pour ne plus se souvenir que de leurs désirs communs. Il faut, certes, que, pour traiter avec les élémens novateurs, ils les abordent avec un loyal esprit de conciliation, sans arrière-pensée ; mais, à plus forte raison, entre eux, doivent-ils nourrir ces sentimens les uns pour les autres. Etre autrement, ce serait se condamner à périr.

Que si l’on dit que la ligne de conduite recommandée ici est loin d’être dégagée de périls, je supplie qu’on nous en montre une autre qui n’en offre pas davantage, qu’on indique, pour sortir des difficultés qui nous pressent, une issue où nous n’ayons pas à laisser plus de notre honneur, de notre autorité dans le monde, de nos richesses publiques et privées. Quand les hommes généreux qui firent la révolution de 1789 prirent la détermination de démolir toute la société, sauf à en reconstruire ensuite une autre de toutes pièces, ils nous jetèrent sur un océan inconnu, semé d’écueils, sujet à être soulevé par de terribles tempêtes. Nous constatons sans cesse, à la sueur de nos fronts, que la carrière de la liberté, quand on y entre de cette façon, est fort périlleuse ; mais avec de l’esprit politique, avec du patriotisme, avec les sentimens et les vertus qui forment la substance même de la civilisation, et qui permettent à l’homme de puiser, dans le sein de ses semblables et dans de plus hautes régions, des forces toujours nouvelles, on déjoue toutes les mauvaises chances, on surmonte ou l’on aplanit tous les obstacles. Continuons donc, avec une résolution calme plus bienveillante pour autrui et plus sévère pour nous-mêmes, le laborieux pèlerinage auquel nous ne pouvons nous soustraire. Acceptons-en franchement les épreuves qu’il ne nous est pas donné d’éviter ;

Faisons notre devoir, les dieux feront le reste.


MICHEL CHEVALIER.