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CHARLOTTE CORDAY


PAR M. PONSARD.




Le sujet choisi par M. Ponsard présente certainement de graves difficultés ; cependant je ne crois pas que la figure de Charlotte Corday doive être bannie du théâtre. Il y a dans le courage viril de cette jeune fille une donnée tragique dont la poésie peut s’emparer. Sans doute cette donnée présente plus d’un écueil ; le dénoûment prévu d’avance, gravé dans toutes les mémoires, semble condamner l’action à l’immobilité ; les préparatifs du meurtre sont tellement connus, il serait tellement insensé de vouloir les changer, que le poète, au premier aspect, paraît condamné à transcrire l’histoire. Toutefois l’étude approfondie de cette question délicate nous, conduit à une conclusion bien différente. S’il n’est pas permis au poète, en effet, d’altérer le témoignage de l’histoire, si le meurtre de Marat est trop près de nous pour que l’imagination la plus hardie ne soit pas obligée d’en respecter, d’en reproduire les circonstances principales, le poète a le droit d’interpréter à sa manière le récit de l’historien. Derrière les faits accomplis, il a le droit de chercher, l’espérance de trouver les idées qui ont servi de germe au projet de Charlotte Corday, les passions qui ont ébranlé son courage, les réflexions qui l’ont raffermi. Et si dans la poursuite et la découverte de ces mobiles mystérieux, indiqués plutôt qu’expliqués par l’historien, il prend pour guide l’austère philosophie, il peut tirer de la vie et de la mort de Charlotte Corday une tragédie émouvante et vraiment pathétique. Non pas que je conseille à l’imagination, en présence de cette grande figure, d’oublier, de méconnaître ses devoirs jusqu’a greffer le roman sur l’histoire : à Dieu ne plaise qu’une pareille folie entre jamais dans ma pensée ! mais, sans recourir au roman, il