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a été expliquée par les chrétiens comme une prophétie de la naissance du Christ. Cette églogue, en effet, qui semble annoncer la régénération du monde, s’appliquait admirablement à la venue du Sauveur ; aussi était-elle presque devenue un monument chrétien. Sannazar l’applique, en la paraphrasant, à la naissance de Jésus-Christ, et là il n’y a plus, pour ainsi dire, ni anachronismes ni contrastes. J’ajoute, à l’honneur de Sannazar, que les vers qui accompagnent cet emprunt fait à Virgile ne le déparent pas trop. C’est le seul exemple que je connaisse d’un centon qui n’ait pas quelque chose de gêné et de gauche. L’églogue de Virgile s’encadre sans effort et sans peine dans le poème de Sannazar, et, quoique païenne, s’adapte naturellement à l’épopée chrétienne[1].

Après avoir parlé des défauts de Sannazar, je voudrais essayer de faire sentir ce qu’il y a de charme naturel dans sa poésie, en dépit de ses réminiscences païennes ; mais, pour cela, il faudrait avoir affaire à un public qui eût quelque peu le goût de la poésie latine moderne. À Dieu ne plaise que, dans ma prédilection pour les vers latins, j’aille aussi loin que Commire, qui, dans une ode faite pour opposer les poètes latins du règne de Louis XIV aux poètes français du temps, ne craint pas de promettre l’immortalité aux poètes latins, parce que, dit-il, ils écrivent dans une langue indépendante désormais des vicissitudes de l’usage et des caprices de la mode, tandis que, dans la poésie française, la langue change, pour ainsi dire, de siècle en siècle[2] ! Le mérite

  1.  Ultima Cumaei venit jam carminis aetas,
    Magna per exactos renovantur saeula cursus,
    Scilicet haec virgo est, haec sunt Saturnia regna,
    Haec nova progenies coelo descendit ab alto,
    Progenies, per quam toto gens aurea mundo
    Surget, et in mediis palmes florebit aristis,
    Qua duce, si qua manent sceleris vestigia nostri,
    Irrita perpetua solvent formidine terras,
    Et vetitum magni pandetur limen Olympi.
    Occidet et serpens, miseros quae prima parentes
    Elusit, portentificis imbuta venenis. (Lib. III.)

  2.  Nescis ut patrio novam
    Sermoni faciem quaecumque ferat dies ?
    Nam quas nunc misere anxias
    Scriptor quaerere amat delicias, brevi
    Usus, si volet, insolens
    Spretas rejiciet non sine nausea.
    At certus Latiis honos
    Et vani haud metuens taedia saeculi
    Perstat gratia vatibus… (Ode de Commire à Santeuil.)