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d’eux prononce une prière. Parfois une étrangère se présente chez un Ami sans être attendue. Je citerai les propres paroles de W. Allen : « Après être restée un instant assise, elle fut appelée à me consoler. Elle me dit qu’en se rendant chez elle, elle s’était sentie arrêtée devant ma demeure ; elle m’assura que le coup qui m’avait frappé n’était point un signe de colère, qu’il m’avait été ménagé pour m’affermir sur l’éternelle fondation. Il lui avait été ouvert que le Seigneur me réservait au service de son église. » A chaque instant paraissent ainsi des prophètes et des prophétesses, et souvent ces envoyés de l’Esprit saint sont des hommes de haute capacité, et toujours ils sont respectueusement écoutés, même par des hommes comme Allen. Quelquefois c’est un conseil ou un reproche qu’il leur est ordonné de faire entendre : ils ont vu les dangers que l’amour de la science faisait courir à un de leurs frères, et une voix d’en haut leur a dit d’aller l’avertir de prendre garde. Un autre jour, devant le cadavre d’un père, d’une femme bien-aimée, ceux qui pleurent éclatent, pour ainsi dire, en chants d’allégresse pour bénir le ciel de sa bonté.

Cela se passe de nos jours : de tout cela, il m’est encore possible de donner une idée ; mais ce que je désespère de faire comprendre, c’est l’indicible alliance d’activité et de résignation, de résolution et de défiance de soi qui se reflète non-seulement dans les pages d’Allen et de mistress Fry, mais encore dans presque toutes les confidences des Amis de nos jours. La vertu pour eux, le signe auquel ils reconnaissent qu’ils sont justifiés, leur idéal enfin, c’est le sentiment de dependence (dans le sens anglais du mot), le sentiment qu’ils sont à la merci du Tout-Puissant, que Dieu pense et veut en eux ; qu’autour d’eux comme en eux, c’est l’Irrésistible qui gouverne seul, décide seul ce qui doit se réaliser ; que l’homme, en un mot, ne peut que deviner ce qui est destiné à s’accomplir. Non qu’ils soient quiétistes ; loin de là. Ils se font un devoir d’étudier sans cesse ce qu’ordonne la voix intérieure, de se décider sans cesse, de toujours vouloir et pratiquer sans crainte et sans repos ce qu’ils croient le mieux, mais de ne le vouloir et de ne le pratiquer qu’en doutant d’eux-mêmes, en se tenant prêts à changer de voie au moindre appel, en se résignant d’avance à ce qui sera ordonné, et en se rappelant « que si l’œuvre est de Dieu, elle réussira malgré tout ; que si elle n’est pas de Dieu, rien ne saurait la faire triompher. » Lorsque le souvenir des destinées religieuses qui lui avaient été prophétisées faisait hésiter miss Gurney (Mme Fry) à se marier, elle écrivait à son cousin J. Gurney : « J’espère que le droit chemin me sera manifesté. Je ne me serais pas crue autorisée à répondre par un refus formel en ce moment. Si je suis réservée à me marier avant peu, cela bouleversera toutes mes théories, et cela m’enseignera que les voies du Seigneur sont inscrutables. » La première fois que la jeune femme