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ont décidé qu’ils n’accepteraient pas toutes les nécessités qui pourraient se présenter ; eux-mêmes n’ont pas voulu y faire face en hommes, de leur mieux. Leur refus seul de porter les armes les condamnait à ne jamais devenir une nation. En donnant à la majorité le droit de régenter les consciences individuelles, leur organisation religieuse les vouait également à n’être qu’une secte exceptionnelle. Pour qu’un tel absolutisme fût possible, il ne suffisait pas que chacun fût libre de s’y soustraire, il fallait encore qu’en s’y soustrayant chacun pût trouver autour de lui d’autres communions où se rejeter afin de ne pas devenir un paria. C’est en vain que les quakers modernes maintiennent résolûment leur discipline et toutes leurs particularités de langage et de costume : cela même indique peut-être qu’ils ont peur. Ils sentent que ces barrières sont la dernière digue qui les empêche d’être engloutis ; mais ces barrières ne sont qu’un obstacle au progrès, et le progrès passera.

Il n’y a pas à s’y méprendre néanmoins, ce qui condamne à mort le quakérisme, ce n’est pas son mysticisme, sa glorification du sens propre c’est sa doctrine, et surtout sa doctrine telle que l’a faite. Barclay. Barclay s’en va, Fox reste : lui, il pouvait dire jusqu’à un certain point : « Je suis celui qui était avant que les choses fussent. » Il était en effet à l’origine de toute chose. Il exprimait ou plutôt en lui s’exprimait ce qui a précédé toute société humaine, ce dont tout effort humain procède le besoin individuel, l’instinct qui oblige chaque être à défendre sa personnalité, à ne croire que ce qu’il peut croire, à ne vouloir que ce qu’il peut vouloir. Bacon n’eût pu accepter Descartes ni Barclay ; il aurait pu accepter Fox. L’induction était en germe dans le mépris que l’enthousiaste professait pour toute théorie ; la cause pour laquelle il combattait était encore la méthode qui enfante le progrès et les génies, la seule qui permette à un homme de faire un pas de plus que ses devanciers. N’est-ce pas en dépit de toute théorie que s’accomplit toute découverte ? Constater une loi nouvelle, n’est-ce pas affirmer un phénomène incompréhensible, absurde, une chose contraire à toutes les lois reconnues du possible, une opinion que l’on ne peut admettre sans nier sa propre raison, ses idées préalables ? Celui qui a découvert l’attraction ou les propriétés de l’oxygène, celui qui est venu annoncer au monde que des morceaux de verre rendaient la vue aux aveugles, tous les novateurs enfin n’ont certainement pas déduit leurs inventions des systèmes du passé. Ils ont cru parce qu’ils avaient vu, ils ont admis qu’un fait était vrai, quoiqu’il fût impossible, parce qu’ils ne pouvaient faire autrement, parce que l’affirmation de ce fait, l’idée qu’il était vrai résultait forcément de leurs impressions. Malheureusement la même méthode qui fait les génies fait aussi les fous et les fanatiques. Si les intelligences d’élite s’élèvent au-dessus de la foule en se dégageant