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misère, la Politicomanie, l’Étranger dans sa patrie, le Retour de Paris, et de ces fictions légères se dégage une observation ingénieuse, peu profonde peut-être, mais fine, enjouée et correcte, aussi prompte à saisir les ridicules nouveaux que facilement indulgente pour les vieilles faiblesses de l’humeur nationale. Les observations de M. Mesonero Romanos sur le côté pittoresque de Madrid n’ont point été sans utilité et sans résultat dans les réformes matérielles dont la ville a été le théâtre. Elles ont fait mieux un jour : elles ont fait épargner la maison de Cervantes, près de tomber sous le marteau, victime d’une de ces manies de démolition qui, dans les périodes révolutionnaires, s’acharnent aux pierres comme aux idées. La verve pieuse du curioso parlante a sauvé cet obscur et illustre asile de la rue du Lion, d’où est sorti Don Quichotte, et sur lequel vous pouvez aller lire aujourd’hui ces simples paroles : « Ici vécut et mourut Michel de Cervantes Saavedra ! » La Casa de Cervantes est un chapitre d’une inspiration littéraire touchante jeté au milieu de tableaux d’un trait rapide et vif. Mettez à côté les Scènes andalouses : ces esquisses, d’une date récente, ont peut-être une saveur plus native, plus espagnole ; on y sent une observation familière avec ces spectacles populaires et charmans de l’Andalousie, que l’auteur décrit avec une vraie passion ; les lieux et les hommes y revivent ; les retours sur les choses actuelles s’y aiguisent en pointe acérée. Sous ce nom de solitaire, d’ailleurs, se cache un des esprits cultivés de la littérature nouvelle de l’Espagne, un érudit expert en vieille poésie et en documens arabes, M. Serafin Calderon ; et si l’ingénieux auteur raille parfois les constitutions, ce n’est point sans y avoir coopéré comme député, ce qui, me direz-vous peut-être, est un motif de plus pour en connaître le mensonge. Ce charmant solitaire vous conduira dans un monde étrange vraiment, dans un monde où on ne disserte ni sur la souveraineté, ni sur l’équilibre des pouvoirs, mais où on savoure le soleil, où le plaisir est une ivresse, où tout s’empreint d’une couleur originale et pittoresque, et où, à travers les éclats et les bizarreries d’imagination, s’aperçoit la trame d’une des natures populaires les plus viriles. Il vous fera assister aux mystères du Roque et du Bronquis, et ranimera les types les plus merveilleux, les rois des fêtes, les reines du plaisir. Êtes-vous allé aux Percheles de Malaga, au Mercadillo de Ronda, au Campillo de Grenade, à Santa-Marina de Cordoue, « partout où l’Espagne vit et règne sans mélange ni croisement étranger ?… » C’est là le domaine qu’explore le solitaire. Les Scènes andalouses sont un des fruits nouveaux et savoureux de cette vieille inspiration nationale qui a produit Rinconete et Cortadillo et l’iliade humoristique de la littérature picaresque. Ce monde original, décrit par M. Serafin Calderon, est-il près de se laisser absorber et de périr ? N’y a-t-il point, au contraire, dans les mœurs espagnoles quelque chose