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à la tête de la confédération, et l’influence bolivienne y était par conséquent assurée ; aussi des cris de joie et d’espérance saluèrent-ils le grand acte proclamé à Sicuani.

Il était difficile pourtant que cet acte fût accueilli de même à Lima et dans le nord du Pérou, qui perdaient de riches départemens à la suite de victoires remportées par des étrangers. Cependant, comme toute résistance était pour le moment au moins impossible, les esprits finirent par se calmer peu à peu, et une autre assemblée fut convoquée à Huaura pour le 15 juillet, à l’effet de constituer aussi le nouvel état composé des provinces du nord. L’influence de Santa-Cruz y fut encore souveraine. Les départemens des Amazones, de Junin, de la Libertad et de Lima furent érigés en république séparée, qui prit le titre d’état nord-péruvien. Santa-Cruz fut proclamé protecteur de la confédération, le général Orbegoso président à Lima, et le général Herrera au Cusco. Ces deux derniers n’étaient plus, par le fait, que les lieutenans de Santa-Cruz.

Celui-ci était donc arrivé enfin au terme de ses longs efforts. Il avait réuni dans sa main le gouvernement des deux républiques du Pérou et de la Bolivie. Lima devenait sa capitale ; il allait jouer le premier rôle dans l’Amérique du Sud. Son ambition était surtout d’appeler sur lui l’attention de l’Europe, qu’il admirait et qu’il enviait à la fois. Il voulait se poser à ses yeux comme le successeur de Bolivar, l’homme chargé de continuer et de terminer l’œuvre commencée par le libertador, en constituant les peuples que Bolivar avait seulement rendus indépendans. Aussi appela-t-il autour de lui un grand nombre d’étrangers auxquels il confia souvent les emplois les plus importans. En même temps, dans ses rapports avec les agens diplomatiques de l’Europe, il affecta des formes et un bon vouloir que ceux-ci n’avaient pas toujours trouvés chez ses prédécesseurs. Enfin, l’administration dirigée par lui prit une marche plus ferme et plus franche, et, malgré les guerres qui entravèrent si souvent ses efforts, qui finirent même par le renverser, le pays fit des progrès rapides. Lima, en particulier, parut recouvrer quelque chose de son ancienne splendeur.

Un reproche grave cependant a été fait avec raison au gouvernement du général Santa-Cruz. Pressé souvent par le besoin d’argent pour résister à ses ennemis, tant intérieurs qu’extérieurs, il prit la fatale résolution d’altérer les monnaies d’argent, dans lesquelles il introduisit près d’un tiers d’alliage. Il espérait sans doute un jour pouvoir retirer aisément ces monnaies de la circulation ; mais ce jour, qu’il croyait prochain, n’est jamais venu : il est tombé lui-même sous les efforts de ses ennemis, et la fausse monnaie créée par lui est demeurée au Pérou et en Bolivie, qui en voient la quantité s’accroître encore tous les jours.