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« — À qui ? demandai-je vivement.

« — À personne, répondit Philippe. C’était, disait-elle, pour s’amuser, et cependant elle pleurait en écrivant.

« — Mais ces papiers, où sont-ils ?

« — Je ne les ai pas retrouvés, monsieur le comte ; madame les a sûrement brûlés.

« — Eh bien ! après, Philippe ?

« — Après ? monsieur le comte, il n’y a plus rien….. elle mourut….. L’homme d’affaires de M. le marquis sut bientôt quel était celui de ses parens qui devait hériter de cette terre ; vous êtes venu, et je vous remets les clés de ce château.

« En effet, le vieux régisseur me tendit plusieurs clés. Je les pris, mais je retins, long-temps après les avoir prises, la main de Philippe entre les miennes.

« — Mon bon Philippe ! lui dis-je ; mais je m’arrêtai… Ces mots, habituellement prononcés par la jeune femme qui venait de mourir, émurent le régisseur et me troublèrent moi-même. Bientôt pourtant je les répétai de nouveau ; mon cœur était digne de les redire, et je sentais que je ne les profanais pas en les prononçant. — Mon bon Philippe, demandez-moi de la lumière ; c’est dans cette chambre que je veux passer la soirée.

« Quelques instans après, j’étais seul dans la chambre de la marquise d’Ebersac. Les fenêtres et les portes étaient soigneusement fermées, et deux bougies étaient placées devant moi sur une petite table. Aussitôt que j’eus cessé d’entendre les pas de Philippe qui s’éloignait, je posai la lumière de façon à ce qu’elle pût éclairer le portrait de la marquise d’Ebersac, et je me mis à le considérer avec attention.

« Il était impossible de le regarder sans émotion, lorsqu’on venait d’entendre le récit du régisseur. Cette jeune femme avait ce genre de beauté qui tient bien plus à l’ame qu’à la régularité des traits, et toute sa figure était empreinte de cette indéfinissable expression que la maladie seule peut donner à la jeunesse. Elle était pâle, et les bandeaux de ses cheveux blonds se mêlaient harmonieusement à la blancheur inanimée de son teint. Ses grands yeux d’un bleu foncé ne regardaient rien, — ils pensaient. — Sa bouche commençait à sourire, mais d’un triste sourire qui semblait regretter de se trouver là. Sa robe était blanche, et ses deux mains, qu’elle appuyait sur ses genoux, tenaient une rose presque flétrie, qui s’inclinait pour mourir comme la jeune femme qui l’avait cueillie.

« Je regardai long-temps cette ravissante image, qui semblait alors revivre pour moi. J’aurais voulu pénétrer dans les replis secrets de cette ame qui n’avait rien dit d’elle à la terre. Je l’interrogeais du regard ; je lui disais tout bas : — As-tu pleuré ? as-tu souffert, ou bien as-tu ignoré la vie ? — As-tu béni ta solitude, ou as-tu murmuré contre ton sort ? — Que cachait ce tranquille sourire que je trouve si triste à regarder ? — Jeune fille ou jeune ange, as-tu emporté ton secret pour toujours avec toi ? — Ne saurons-nous jamais rien de ces quelques heures que tu as passées parmi nous ?

« Et le portrait était toujours devant moi avec ce vague regard qui semblait se fixer au loin, et son paisible sourire, qui n’était pas pour la terre. — Je parcourus des yeux la chambre où je me trouvais. J’interrogeai chaque meuble,