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Hollandaises, qui, malgré leur fortune, servaient leur père, venaient de mettre sur la table le thé et le bœuf fumé, quand Karl Van Amberg, se tournant vers sa femme, lui dit brusquement :

— Madame, où est votre fille ?

C’était Christine que le regard inquiet de Mme Van Amberg avait tâché de découvrir dans le jardin à travers le brouillard.

À la question faite par son mari, elle se leva, ouvrit la porte, et, s’appuyant sur la rampe de l’escalier qui conduisait à la chambre de sa fille, elle appela deux fois : — Christine ! — puis elle pâlit en voyant que personne ne répondait. Elle regarda encore au loin à travers le brouillard.

— Retirez-vous de là, madame, lui dit avec humeur la vieille servante Gothon, accroupie sur les dalles du vestibule qu’elle avait inondées d’eau de savon et qu’elle frottait avec constance, retirez-vous, madame, le froid augmentera votre toux, et Mlle Christine est bien loin ! L’oiseau s’est envolé avant le jour.

Mme Van Amberg regarda tristement la prairie où nul pas ne se faisait entendre et le parloir où son mari irrité l’attendait ; puis elle rentra, et vint, en silence, s’asseoir à la table près de laquelle le reste de la famille avait déjà pris place.

Personne ne parlait. Tous les yeux lisaient sur le front de M. Van Amberg qu’il était mécontent, et nul n’eût essayé de changer la direction de ses idées. Sa femme restait le regard attaché sur la fenêtre, espérant entrevoir quelque indice du retour de sa fille. Ses lèvres effleuraient à peine le lait qui remplissait sa tasse, et une angoisse visible augmentait la pâleur de son doux et triste visage.

— Annunciata, ma chère, prenez donc un peu de thé, lui dit son beau-frère Guillaume, la journée sera humide et pluvieuse. Vous avez besoin de réchauffer votre poitrine, qui me paraît ce matin en assez mauvais état.

Annunciata sourit tristement à son frère, et, pour toute réponse, porta à ses lèvres le thé qu’il lui donnait ; mais l’effort était trop pénible, elle remit la tasse sur la table. M. Van Amberg ne regardait personne ; il mangeait, les yeux arrêtés sur son assiette.

— Ma sœur, reprit Guillaume, c’est un devoir de soigner sa santé, et vous qui remplissez tous vos devoirs, vous devez aussi accomplir celui-là.

Une légère rougeur passa sur le front d’Annunciata. Son regard rencontra celui de son mari, qui s’était lentement tourné vers elle. Tremblante et prête à pleurer, elle n’essaya plus de rien prendre. Et le silence fut complet comme au commencement du déjeuner.

On entendit des pas dans le corridor qui précédait le parloir. La voix