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Gothon était dans la maison avant Annunciata, et elle avait vu venir avec grand déplaisir l’étrangère ramenée par son maître. Elle ne reconnut jamais son autorité ; mais, comme elle avait servi la mère des Van Amberg, ce fut sans crainte d’être chassée que son humeur chagrine opprimait à sa manière sa douce maîtresse.

Annunciata entra dans le parloir où son mari se promenait lentement, elle resta debout auprès de la porte, comme attendant l’ordre qu’on allait lui donner. La physionomie de M. Van Amberg était plus grave, plus sombre que jamais. Il s’arrêta devant sa femme.

— Est-il sûr que personne ne puisse m’entendre, madame ? Sommes-nous bien seuls ?

— Nous sommes seuls, monsieur, répondit Annunciata étonnée.

M. Van Amberg se remit à marcher, et resta quelques instants sans rien ajouter. Sa femme, la main appuyée sur le dos d’un fauteuil, attendait en silence qu’il lui convînt de parler ; enfin il s’arrêta en face et dit :

— Vous élevez mal votre fille Christine ; je vous ai abandonné la direction de cette enfant, vous ne la surveillez pas assez, Savez-vous où elle va ? Savez-vous ce qu’elle fait ?

— Depuis son enfance, monsieur, reprit doucement Annunciata en s’arrêtant presque à chaque phrase, Christine aime à vivre en plein air, à courir dans le jardin ; elle est délicate, elle a besoin de soleil et de liberté pour se fortifier. Jusqu’à présent vous avez trouvé bon qu’elle vécût ainsi, j’ai cru pouvoir sans inconvénient laisser cette enfant se livrer au penchant de son caractère ; si vous en jugez autrement, elle obéira, monsieur.

— Vous élevez mal votre fille, reprit froidement M. Van Amberg, elle déshonorera le nom qu’elle porte.

— Monsieur !… s’écria Annunciata, tandis que ses joues se coloraient de la plus vive rougeur, et ses yeux brillèrent un instant comme des éclairs.

— Faites-y attention, madame, je veux que mon nom soit respecté, vous le savez. Je suis instruit de tout ce qui se passe chez moi, vous le savez. Votre fille sort en secret de la maison pour aller trouver un homme que j’ai refusé de lui laisser épouser ; ce matin, à six heures, au bas de la prairie, ils étaient ensemble.

— Ma fille, ma fille !… s’écria Annunciata d’une voix désolée. Oh ! ce n’est pas possible ! Non, non, elle est innocente, elle restera innocente ! je me mettrai entre le mal et elle, je sauverai mon enfant ! Elle coupable ! non, je suis là ! Je la prendrai dans mes bras, je mettrai mes mains sur ses oreilles pour qu’elle n’entende pas de dangereuses paroles, et je lui crierai : Ma fille, reste innocente, reste honorée, si tu ne veux pas que je meure !