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Christine se dégagea brusquement des bras de sa mère.

— Ah ! oui, me, dit-elle, vous ne savez pas ce que c’est que d’aimer ainsi ! Mon père ne pouvait pas se laisser aimer ainsi !

— Tais-toi ! mon enfant, tais-toi ! répéta Annunciata avec énergie. Ô ma fille, comment faire arriver à ton cœur ces pensées de paix et de devoir ! Mon Dieu, bénissez donc mes paroles ! qu’elles trouvent le chemin de son ame ! Christine, écoute-moi.

Annunciata prit les deux mains de sa fille, et la força à rester debout devant elle.

— Mon enfant, tu ne sais rien de la vie, tu marches au hasard, tu vas perdre la bonne voie. Oui, tu le sens, il y a dans nos cœurs des rêves entraînans, des pensées infinies ; mais, vois-la, Christine, c’est là la partie de nous-mêmes qu’il faut rapporter à Dieu dans le ciel sans en avoir rien égaré sur la terre ; c’est notre ame immortelle qui étouffe dans ce monde de passage et qui s’agite pour aller vers son but, l’amour éternel de Dieu. Tous les cœurs jeunes, ma fille, ont senti les troubles qui déchirent en ce moment le tien. Les nobles cœurs ont combattu et triomphé, les autres ont succombé ! Mon enfant, la vie n’est pas facile ; elle a des épreuves, des luttes pénibles ; crois-moi, pour nous autres femmes, il n’y a pas de bonheur vrai en dehors du devoir. Quand le bonheur a fait faute à notre destinée, il reste encore de grandes choses dans la vie. Le bien a son élévation, comme l’amour son exaltation. L’honneur, l’estime de tous, ce ne sont pas là des mots vides de sens. Écoute-moi, mon enfant bien-aimée : ce Dieu, dont depuis ton enfance je t’ai enseigné l’amour, ne crains-tu pas de l’offenser ? Ma fille, cherche-le, et, mieux que moi, il te dira les mots qui consolent. Christine, on aime en Dieu ceux dont on s’éloigne sur la terre. Lui, qui dans ses lois suprêmes a mis tant de freins au cœur de la femme, il a vu dans l’avenir tous les sacrifices qu’il imposait, et il a sûrement gardé des trésors d’amour pour les cœurs qui se brisent en restant soumis.

Annunciata essuya rapidement les larmes qui inondaient son beau visage ; puis, saisissant le bras de Christine :

— À genoux, mon enfant ! à genoux toutes les deux, s’écria-t-elle, devant le Christ que je t’ai donné ! Le jour est bien avancé, et cependant nous le voyons encore ; ses bras semblent s’ouvrir pour nous. Mon Dieu, bénis mon enfant ! Sauve mon enfant ! console mon enfant ! Mon Dieu ! apaise son cœur, rends-le humble et obéissant !

Annunciata se releva, et prenant dans ses bras Christine, qui s’était laissé jeter à genoux et relever, elle l’embrassa avec amour, inonda ses cheveux de larmes, la serra mille fois sur son cœur.

— Ma fille, murmura-t-elle à travers ses baisers, ma fille, parle-moi, dis-moi un mot que je puisse emporter comme un espoir ! Mon enfant, n’as-tu rien à me dire ?