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Lafuente en avait reçu le commandement. Menendez ne vit pas ce qu’avaient de redoutable pour lui les menées de ce chef ambitieux. Lafuente se hâta de traiter avec Ballivian au lieu de le combattre, et à la tête de ses troupes, se disposa alors à jeter le poids de leur influence dans le choix qui allait être fait du nouveau chef du pouvoir. Menendez reconnut enfin la faute qu’il avait commise en confiant à cet infatigable conspirateur le commandement de l’armée du Pérou. Pour parer à ce danger, et, sous le prétexte de quelques craintes de guerre que l’Equateur inspirait, il fit lever immédiatement une seconde armée, et la confia à Torrico, général jeune encore, sans antécédens politiques et connu seulement par une charge de cavalerie qui lui avait donné une grande réputation de valeur. Cet homme peu capable, mais plein de prétentions, se croyait, comme tant d’autres, le seul en état de sauver la république. Le premier soin de Torrico, aussitôt qu’il eut son armée, fut de renverser Menendez, qui dut se retirer au Chili (16 août l842).

Du reste, rien de plus pacifique, rien de moins révolutionnaire au fond que ces révolutions péruviennes. La conspiration se trame quelque temps dans l’ombre, garantie par le secret le plus profond, la dissimulation la plus impénétrable. Les rôles sont assignés, les proclamations préparées, les emplois distribués, les récompenses promises ; puis, le jour venu, un régiment, quelques compagnies font leur pronunciamiento ; cinq ou six personnes parmi les plus influentes sont arrêtées dans leurs maisons, les autres se cachent ; quelques aides-de-camp portant des ordres parcourent les rues au grand galop de leurs chevaux. Aussitôt toutes les portes se ferment, le mot révolution court de bouche en bouche ; quelques têtes curieuses, insouciantes pour : la plupart se montrent seules aux fenêtres ; les proclamations s’affichent, et la révolution est faite. La lie du peuple, à qui on donne quelques pièces de monnaie et de l’eau-de-vie de Pisco, va aussitôt saluer de ses vivats le nouveau chef du pouvoir, afin que le lendemain le journal officiel puisse, suivant l’éternel usage, dire que le gouvernement a été acclamé par le pays tout entier ; il en avait dit autant du gouvernement tombé, il en dira autant du gouvernement futur. La scène est la même toujours ; les noms seuls sont changés.

Pendant que Torrico faisait sa révolution à Lima, Lafuenfe faisait aussi la sienne dans le midi ; seulement il se cachait sous le nom du général Vidal, son lieutenant, deuxième vice-président du conseil d’étai, qui, comme tel, se proclamait chef de la nation sous le prétexte que Menendez, dont il ignorait encore la chute, était entièrement sous la dépendance de Torrico et de ses soldats, et que le premier vice-président, M. Figuerola, était incapable, par son âge et le mauvais état de sa santé, de gouverner la république dans les circonstances difficiles où elle se trouvait. Les deux prétendans étaient chacun à la tête d’une