armée ; il était évident que le sort des armes devait seul décider entre eux. Ce fut ce qui arriva. Torrico sortit de Lima et alla lui-même au-devant de son ennemi. Il le rencontra près du petit village d’Agua-Santa (octobre 1842) ; mais, dans ce combat, Torrico, bien que supérieur en force, ne soutint pas la réputation de courage qu’il s’était acquise dans une occasion précédente. Battu complètement, il revint à Lima de toute la vitesse de son cheval, suivi seulement de quelques-uns de ses officiers, traversa la ville sans s’y arrêter, et alla au Callao se jeter éperdu à bord de notre brick de guerre l’Adonis. Dans l’Amérique du Sud, les bâtimens de guerre et les maisons des consuls sont le refuge général où se précipitent tous les pouvoirs déchus, les faiseurs de révolutions avortées, les aventuriers politiques de toute sorte, qui croient avoir besoin de mettre momentanément leurs têtes à l’abri. Ils passent de là dans quelque pays voisin où ils se voient, se concertent, s’entendent entre eux, correspondent avec leurs amis, avec leurs partisans demeurés dans leur patrie, et attendent tranquillement et en sûreté que le moment soit venu d’essayer une nouvelle révolution. En l’absence de tout principe politique, de toute idée supérieure à celle d’un simple intérêt personnel, il n’existe trop souvent au Pérou que deux partis : ceux qui sont au pouvoir et ceux qui veulent s’en emparer, les premiers se défendant au nom de la constitution, les autres les attaquant au nom de la constitution, et s’appuyant sur la masse, toujours trop nombreuse, des mécontens de bas étage.
À propos de ces révolutions incessantes, il faut bien dire aussi un mot du rôle qu’y jouent les femmes. Spirituelles, vives, aimant l’intrigue, en général très supérieures à leurs maris, les Liméniennes savent au besoin réagir sur les résolutions les mieux arrêtées, et bien souvent par le fait elles conduisent les affaires les plus importantes. Favorisées par un costume aussi bizarre que gracieux, qui ne laisse voir de leur figure que la prunelle de leur grand œil noir, elles peuvent aller partout sans être reconnues, tout voir, tout visiter, intriguer partout. Aussi ne s’est-il pas fait une révolution, un pronunciamiento à Lima, où les femmes n’aient eu la plus large part. Ce sont elles qui excitent leurs maris, les poussent, les animent, réchauffent leurs partisans, déroutent leurs adversaires, prévoient tout, préparent tout pour le triomphe. Libres de tout dire sous la saya y manto (c’est le nom de leurs costumes inviolables), sous un masque que l’opinion publique rend sacré en quelque sorte, elles n’ont aucune crainte de compromettre ni elles-mêmes ni leurs familles ; tout au plus, si elles échouent, jugent-elles prudent de s’enfermer pour quelques mois dans l’un des nombreux couvens de femmes de Lima. Ces couvens sont l’asile le plus sûr et le plus commode à la fois, car aucun pouvoir n’oserait le violer, et les agitatrices politiques de Lima peuvent y continuer