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qu’une folle enfant, capricieuse, indisciplinée, indigne de votre tendresse. Si mon mal est sans remède, je suis une noble femme qui souffre, qui se sacrifie. Comment, mon Dieu ! comment ne comprenez-vous pas cela ?

— Je comprends, murmura Annunciata, mais si bas qu’elle était sûre que sa fille ne pourrait l’entendre.

— Cessez donc, ma mère, d’attendre la fin de ce qui ne finira qu’avec ma vie. Je ne puis rien ôter de mon cœur.

Et Christine, rêveuse, appuyée sur la balustrade toute mouillée, regarda le ciel noir, qui laissait tomber sur la terre une pluie fine et continue.

— Est-il donc sans exemple, mon Dieu, d’aimer jusqu’à en mourir ? Est-il donc sans exemple d’avoir, en ouvrant les yeux, rencontré une image chérie sur laquelle les regards restent fixés jusqu’au moment où ils se ferment pour toujours ? Est-il donc sans exemple de conserver dans son cœur un sentiment si grand que toutes les choses de la terre viennent se briser contre lui sans l’ébranler ? Je ne sais rien de la vie, mais je m’écoute moi-même, et une voix intérieure me crie : Tu ne peux cesser d’aimer !… Ma mère, allez trouver mon père ; appelez à vous un courage que vous n’avez pas pour ce qui vous est personnel ; parlez-lui hardiment, dites-lui ce que je vous dis, réclamez ma liberté, réclamez mon bonheur !

— Moi ! ma fille, moi ! s’écria Annunciata avec effroi, moi ! oser braver M. Van Amberg ! aller attaquer sa volonté !

— Non l’attaquer, mais la supplier, mais forcer son cœur à comprendre ce que le mien éprouve, le forcer à voir, à entendre ! Qui peut le faire, si ce n’est vous ? Moi, je suis enfermée ; mes sœurs ignorent, mon oncle Guillaume n’a jamais aimé. Il faut les paroles d’une femme pour bien dire ce qu’une femme éprouve.

— O mon entant, ma fille ! tu ne sais pas ce que tu me demandes ! L’effort est au-dessus de mes forces.

— Je demande à ma mère une preuve de son amour, et je sais qu’elle me la donnera.

— Oui, mais j’en mourrai peut-être ! M. Van Amberg peut me tuer par ses paroles !

Christine tressaillit.

— Alors, ma mère, n’allez pas le trouver. Pardonnez-moi, je ne songeais qu’à moi. Si mon père a sur vous une si horrible puissance, n’approchez pas de sa colère, attendons, et ne prions que Dieu.

Il y eut un instant de silence.

— Ma fille, reprit Mme Van Amberg. puisque je suis ta seule espérance, ton seul appui, puisque tu m’as appeler à ton secours, eh bien ! j’irai et je lui parlerai. Le ciel décidera de notre sort à tous.

En ce moment, Annunciata jeta un cri d’effroi : une main avait