Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme si sa propre voix l’eût bercée ; Maria défaisait un nœud qui s’était formé dans un écheveau de fil, et toutes ses pensées étaient absorbées par cette occupation, qui se prolongeait sans lui causer ni ennui ni impatience. Le brouillard couvrait la prairie et formait tout près de la fenêtre un voile épais que les yeux ne pouvaient pénétrer. Il n’y avait de vie nulle part, ni dans les êtres ni dans les choses. Christine posa sa main sur son cœur qui battait avec violence, et elle répéta une des phrases de la romance :

J’ai besoin du soleil comme les hirondelles,
Je veux partir !
Je chercherai des fleurs aux couleurs éternelles,
Je veux partir !

— S’il n’y a de soleil, de repos, de bonheur que dans le ciel, murmura la jeune fille, eh bien ! après avoir cherché sur la terre je mourrai, j’irai rejoindre ma mère.

Christine reprit son ouvrage, et compta de nouveau chaque minute qui la séparait de l’heure du départ.

Le soir vint enfin. Une lampe remplaça les dernières lueurs du jour. On se groupa autour d’une table au lieu d’être assis près de la fenêtre. Guillaume et Karl Van Amberg entrèrent. L’un prit un livre et lut tout bas, l’autre ouvrit de grands registres dans lesquels se trouvaient les comptes rendus de ses opérations commerciales. Le silence le plus profond régna dans la chambre. La lampe n’éclairait personne suffisamment. Les yeux étaient tristes comme les cœurs. La jeunesse, la vieillesse, l’insouciance, l’agitation, la douleur, tout se couvrait d’un même voile. Le silence dominait toute chose. L’horloge sonnait lentement les heures qui se succédaient. Quand son marteau frappa dix coups, il se fit quelque mouvement autour de la table ; les livres se fermèrent, les ouvrages se plièrent. Karl Van Amberg se leva ; ses deux filles aînées s’approchèrent de lui ; il les baisa au front sans prononcer une seule parole. Christine, qui, bien que libre, se sentait encore en disgrâce, s’inclina seulement devant son père. L’oncle Guillaume, à moitié endormi par sa lecture, remit lentement ses lunettes dans sa poche en murmurant quelque chose qui pouvait être : « Bonsoir ; » mais ces paroles s’arrêtèrent à ses lèvres et n’atteignirent aucune oreille. On sortit du parloir lentement, silencieusement. Les trois sœurs montèrent ensemble l’escalier de bois. Au moment d’entrer dans sa chambre. Christine sentit son cœur se serrer. Elle se retourna et regarda de loin ses sœurs. Le corridor était bien obscur ; c’était une étroite galerie où, même en plein jour, les petits carreaux d’une seule fenêtre laissaient à peine pénétrer la lumière. Le flambeau que chacune des jeunes filles tenait à la main n’éclairait que leur personne, et les faisait ressembler à de blanches apparitions traversant les ombres de la nuit.