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que cet habit n’engageait pas sa liberté, elle pleurait pourtant. Deux sœurs converses l’aidaient à se vêtir. Immobile comme une statue, Christine se laissait faire, mais son cœur protestait avec énergie contre tout ce que cette robe semblait promettre à Dieu. Elle voulait sa liberté à défaut d’autre bonheur, et sa tête exaltée rêvait encore de traverser les mers pour retrouver Herbert. Jamais le pieux vêtement d’une postulante ne couvrit un cœur plus agité, jamais il ne fut mouillé de larmes plus amères.

Comme la toilette s’achevait, une des sœurs prit la main de Christine et voulut en ôter un anneau d’or qui s’y trouvait ; ainsi le voulait la règle. Christine retira brusquement sa main.

— C’est Herbert qui me l’a donné ! s’écria-t-elle ; cet anneau, le seul bien qui me reste, ne me quittera qu’à la mort !

La supérieure entrait.

— Je veux garder cet anneau ! répéta Christine en montrant l’anneau qui brillait à son doigt.

La supérieure éloigna les sœurs, fixa sur Christine son regard calme maternel et sérieux.

— Mon enfant,… dit-elle.

Ces paroles rappelèrent à la jeune fille le temps heureux où sa mère lui parlait.

— Mon enfant, ces mots je veux ne sont jamais prononcés en ces lieux. Dieu seul veut, et nous, nous obéissons. Rassurez-vous, nulle ne s’engage ici que par sa propre volonté ; ce n’est en ce moment pour vous qu’une retraite choisie par votre père. Si, après avoir prêté l’oreille aux voix qui vont nous parler de Dieu, vous pleurez encore comme aujourd’hui, les portes s’ouvriront, je vous rendrai à votre père ; d’ici là, obéissez comme toutes nous obéissons.

— Mon anneau, mon pauvre anneau ! reprit douloureusement Christine, tout ce qui me reste d’Herbert !…

— Il y a ici entre les ames des liens meilleurs, mon enfant. La prière est un souvenir qui réunit mieux que tous les signes visibles ceux qui peuvent penser l’un à l’autre sans remords. Et cette chaîne de cheveux qui entoure votre cou ?

— Ce sont les cheveux de ma mère ! s’écria Christine ; même en ces lieux je puis les baiser et les couvrir de mes larmes !

— En ces lieux vous êtes plus près du ciel, où est votre mère, que vous ne l’étiez quand vous viviez dans le monde ; mais, en ces lieux, même ce souvenir, mon enfant, doit se déposer aux pieds de Dieu. Une religieuse ne doit porter aucun ornement terrestre.

— Hélas ! hélas ! s’écria Christine il ne me restera donc plus rien sur la terre, ni les êtres que j’aimais, ni les choses que j’aimais à cause d’eux !