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du Christ. L’une ne mourait pas en aimant la vie, les autres ne vivaient pas en craignant le mort : c’était un solennel et imposant spectacle. Comme le voyageur fatigué, après avoir suivi lentement la route longue et droite à l’extrémité de laquelle il entrevoyait un toit hospitalier, arrive le cœur plein d’allégresse au lieu du repos, ainsi la religieuse, après de longs jours tout semblables, arrive avec une sainte joie au jour de la mort qui donne le ciel pour demeure.

Christine s’agenouilla, mais son cœur était plein des troubles de la terre. Elle aimait la vie, et c’était à la vie et non au ciel qu’elle demandait des espérances et du bonheur.

Au milieu d’une prière, l’ame de la religieuse s’envola, elle mourut dans la paix du Seigneur, sans regret, sans crainte. Alors s’accomplirent les cérémonies qui suivirent la mort d’une sœur de la Visitation. On fut chercher dans les armoires la couronne de roses blanches conservée avec soin depuis le jour où elle prononça ses vœux, et on la lui posa sur la tête pour la dernière fois. Cette couronne blanche, une religieuse la porte quelques heures le jour de sa profession, puis elle la quitte en sachant que ces fleurs ne toucheront plus son front que lorsqu’il sera glacé par la mort. La religieuse, la couronne sur la tête, est exposée dans sa bière ouverte au milieu du chœur du couvent. — On nomma deux sœurs pour veiller et prier. Christine Van Amberg fut une de celles qui restèrent agenouillées près de la religieuse qui venait de mourir.

La nuit fut longue et solennelle ; d’un côté, une femme qui n’était plus ; près d’elle, une femme agitée de toutes les passions de la terre ; entre elles deux, une religieuse vivante comme l’une, calme comme l’autre.

Avec le jour, la supérieure vint prier près de la morte ; puis elle s’éloigna, laissant d’autres sœurs pour veiller comme Christine avait veillé.

— Ma fille, dit-elle doucement à Christine, cette nuit a dû avoir pour vous de salutaires enseignemens. Si notre vie vous paraît triste, notre mort doit vous paraître douce.

— Ma mère, répondit Christine, je veux bien mourir !

— Mon entant, Dieu vous laissera vivre, reprit la supérieure ; votre ame n’est pas prête ; tachez qu’elle prie et fasse silence.

Un jour, les portes du couvent s’ouvrirent, non pour laisser entrer, mais pour laisser sortir. C’était un rare événement, et peut-être était-ce la plus pénible des épreuves imposées aux saintes filles qui vivent dans l’abnégation d’elles-mêmes. Une religieuse de la communauté avait depuis vingt ans passé des jours uniformes et tranquilles dans ce cloître dont elle aimait les murs, l’église, le préau ; rien ne lui appartenait sur la terre : elle avait chaque année changé de cellule, changé de livres,