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— Séparée sur la terre, mais non pour toujours, répondit la religieuse ; encore, ajouta-t-elle, j’ai vécu auprès de lui : ceux qui ne sont plus ne sont pas bien loin de ceux qui ne vivent que pour prier.

— Et vous n’avez pas pleuré toujours, toujours !

— J’ai pleuré, ma sœur, et vos larmes m’ont fait souvenir de mes larmes d’autrefois ; mais je suis restée plus long-temps que vous dans le monde, j’avais déjà appris à le connaître. Tout se sépare sur la terre ; on se quitte par la mort, par l’oubli, par les changemens même dans les affections ; on s’aime moins après s’être aimé beaucoup. Tout est triste, on pleure un peu partout. Eh bien ! moi, je suis venue demander aux espérances éternelles de me consoler des espérances brisées de la terre. La vie est courte ; les plus heureux sont ceux qui voient au-delà. J’ai vécu paisible avec un souvenir, je meurs paisible avec une espérance.

Christine ne questionna plus, mais ses larmes coulaient, et intérieurement son cœur répondait qu’elle, elle pleurerait toujours, et qu’il lui fallait ou vivre avec Herbert ou mourir.

Une nuit, pendant le sommeil des religieuses, le son des cloches retentit dans le couvent. Ces cloches annonçaient qu’une sœur était à l’agonie ; c’était la religieuse soignée par Christine quelques jours auparavant qui allait terminer sa courte existence.

Si la vie dans un couvent diffère de toute vie ailleurs, la mort au couvent diffère plus encore de la mort en tout autre lieu. La vraie mort de la religieuse s’est accomplie le jour de sa profession ; l’autre n’est plus que le moment du repos et de la récompense. Aussi, dans cette cellule qu’une ame allait quitter pour le ciel, il n’y avait ni sanglots, ni larmes ; un grand recueillement régnait sur tous les visages, ils étaient graves et calmes. La flamme des cierges apportés pour les dernières cérémonies de la religion éclairait en plein le front serein de la mourante ; ses lèvres s’entr’ouvraient pour répondre aux prières de ses compagnes ; ses mains touchaient encore les grains du rosaire qu’elle avait chaque jour porté à son côté. Au pied du lit, la supérieure et les sœurs étaient agenouillées ; celles des religieuses qui n’avaient pu trouver place dans l’étroite cellule étaient à genoux près de la porte, dans le corridor. Il n’y avait ni douleur, ni trouble, ni effroi ; le silence régnait partout ; des prières seules l’interrompaient. La mourante était tranquille ; l’assistance était recueillie ; la mort n’était plus le spectre affreux qui glace d’horreur, mais l’ange consolateur qui vient chercher les enfans de Dieu pour les mener à lui. Là les passions humaines, là tous les liens de la terre étaient oubliés ou vaincus. Nul regret n’attristait le dernier départ ; l’hymne de la délivrance se faisait seule entendre. Tous les cœurs qui battaient désiraient le ciel, tous les yeux qui regardaient le voyaient s’entr’ ouvrir pour recevoir l’épouse