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— Seigneur, il souffre comme j’ai souffert ! versez donc sur lui le baume dont tous avez guéri mes blessures ! En lui laissant la vie, prenez son ame comme vous avez pris mon ame. Donnez-lui cette immense paix qui descend sur ceux que vous aimez.

— O Christine, ma bien-aimée ! s’écria Herbert en s’emparant encore des mains de Marthe-Marie, regardez-moi donc, tournez vos yeux vers moi, voyez mes larmes ! Amie de mon cœur, il me semble que tu sommeilles…. réveille-toi ! ne te souvient-il plus de nos doux rendez-vous ? des saules qui se penchaient vers l’onde ? de ma barque où nous avons vogué toute une nuit en rêvant le bonheur de vivre ensemble ? Regarde, regarde !… La lune se levait comme elle se lève en ce moment. La nuit était belle comme la nuit d’à présent est belle encore. Nous étions l’un près de l’autre comme je suis ce soir près de toi ; on nous a séparés, et maintenant nous pouvons rester ensemble…. Christine, as-tu cessé d’aimer ? as-tu tout oublié ?

Guillaume s’approcha d’elle, et prit une de ses mains.

— Enfant chérie, dit-il, nous te supplions de ne pas nous quitter. Nous attendons de toi notre bonheur ; reste avec nous, Christine.

La novice, une main dans les mains d’Herbert, l’autre dans les mains de Guillaume, murmura lentement :

— Le corps qui repose dans la tombe n’en soulève pas la pierre pour rentrer dans le monde. L’ame qui a vu le ciel n’en descend pas pour revenir sur la terre. La créature à laquelle Dieu a dit : « Sois l’épouse du Christ, » ne quitte pas le Christ pour s’unir à un homme…. et celle qui va mourir doit se détourner des affections de la vie…

— Herbert, s’écria Guillaume, taisez-vous ! taisons-nous ! j’ai peur…. Je sens à peine son pouls battre sous mes doigts !… Elle me semble plus pâle encore que lorsqu’elle m’apparut pour la première fois derrière la grille du couvent ; nous lui faisons mal… Assez, Herbert, assez ! Il vaut mieux encore la donner à Dieu sur la terre que de la lui envoyer dans le ciel…

— Ma fille, ajouta Guillaume en posant sur son épaule la tête presque inanimée de Marthe-Marie, ma fille, reviens à toi, ne ferme pas ainsi tes yeux.

Et le vieillard pressait la jeune fille sur son cœur comme une mère embrasse son enfant.

— Reviens à toi, reprit-il ; je te ramènerai dans la maison de Dieu.

Marthe-Marie fixa sur son oncle un triste et doux regard ; sa main serra faiblement la main du vieillard, et, se tournant vers Herbert :

— Vous, Herbert, dit-elle d’une voix qu’on entendait à peine, vous qui vivrez, ne le quittez pas.

— Christine ! s’écria Herbert à genoux devant sa fiancée ; Christine, allons-nous nous séparer pour toujours ?