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jusque-là incohérentes, et de les rattacher à une pensée supérieure comme à leur principe commun. Cette pensée, dont Louis XIV eut le mérite de sentir et d’aimer la grandeur, peut se formuler ainsi donner l’essor au génie national dans toutes les voies de la civilisation, développer à la fois toutes les activités, l’énergie intellectuelle et les forces productives de la France. Colbert a posé lui-même, dans des termes qu’on croirait tout modernes, la règle de gouvernement qu’il voulait suivre pour aller à son but : c’était de distinguer en deux classes les conditions des hommes, celles qui tendent à se soustraire au travail, source de la prospérité de l’état, et celles qui, par la vie laborieuse, tendent au bien public ; de rendre difficiles les premières, et de faciliter les autres en les rendant le plus possible avantageuses et honorables[1]. Il réduisait le nombre et la valeur des offices, afin que la bourgeoisie, moins empressée à leur poursuite, tournât son ambition et ses capitaux vers le commerce, et il attirait du même côté la noblesse en combattant le préjugé qui lui faisait un point d’honneur de la vie oisive et inutile[2]. L’émulation du travail, tel était l’esprit nouveau qu’il se proposa d’infuser à la société française, et selon lequel fut conçu par lui l’immense projet de remanier la législation tout entière, et de la fondre en un seul corps pareil au code de Justinien[3].

C’est à ce dessein qu’il faut rapporter, comme des fragmens d’un même ouvrage, les grandes ordonnances du règne de Louis XIV, si admirables pour l’époque, et dont tant de dispositions subsistent encore aujourd’hui, l’ordonnance civile, l’ordonnance criminelle, l’ordonnance du commerce, celle des eaux et forêts et celle de la marine[4]. Colbert, d’abord simple intendant, puis contrôleur général des finances, avait, par l’ascendant du génie, contraint le roi à élever ses fonctions dans le conseil jusqu’à celles de régulateur de tous les intérêts économiques de l’état. De la sphère spéciale où son titre d’emploi semblait devoir le renfermer, il porta du premier coup la vue aux plus hautes régions de la pensée politique, et, enveloppant toutes choses dans cette synthèse, il les considéra, non en elles-mêmes, mais dans

  1. Projet d’une révision générale des ordonnances, discours prononcé par Colbert dans le conseil du 10 octobre 1665, Revue rétrospective, 2e série, t. IV, p. 257 et suiv.
  2. Voyez l’édit d’août 1669, Recueil des anciennes lois françaises, t. XVIII, page 217, et Forbonnais, Recherches et considérations sur les finances de France, t. II, pages 150 et 362 ; t. III, page 257.
  3. Projet d’une révision générale des ordonnances, Revue rétrospective, 2e série, t. IV, pages 248 et 258.
  4. Ordonnance civile touchant la réformation de la justice (avril 1667) ; ordonnance pour la réformation de la justice, faisant continuation de celle d’avril 1667 (août 1669) ; édit portant règlement général pour les eaux et forêts (août 1669) ; ordonnance criminelle (août 1670) ; ordonnance du commerce (mars 1673) ; ordonnance de la marine (août 1681). Recueil des anciennes lois françaises, t. XVIII, pages 103, 341, 219 et 371 ; t. XIX, pages 92 et 282.