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de tâtonnemens jusqu’au jour où toutes les voies s’aplanirent par la fusion des deux premiers ordres au sein du troisième, et par l’avènement d’une assemblée souveraine et inviolable de la nation.

C’est à ce point de notre histoire que s’arrête celle du tiers-état ; là disparaît son nom et finit son existence à part. Dans cette période suprême, on verra d’abord peu de mouvement ; les vieilles habitudes politiques subsisteront, tandis qu’un esprit nouveau s’emparera des intelligences ; puis, le travail achevé dans les idées passera dans les faits ; des essais de réforme plus ou moins larges seront noblement, mais inutilement tentés par le pouvoir, et de leur impuissance éprouvée naîtra la tentative populaire qui fit sortir des états-généraux assemblés pour la dernière fois la révolution de 1789. Cette inauguration d’une société fondée sur les seuls principes du droit rationnel n’arriva que lorsque la masse nationale eut senti à fond le néant pour elle d’une restauration de droits historiques. La raison pure et l’histoire furent comme les deux sources diverses où puisa dès son berceau l’opinion régénératrice ; elle puisa de plus en plus à la première, et de moins en moins à la seconde. D’un côté, le courant se trouva mince et inerte ; de l’autre, sans cesse grandissant, poussé par la double impulsion de la logique et de l’espérance, il parvint à maîtriser tout et à tout entraîner.

Les droits anciens n’étant autre chose que les anciens privilèges, leur restauration en masse, sous le nom de liberté, ne pouvait être l’objet de désirs sérieux que pour les deux premiers ordres ; le tiers-état, sauf ses vieilles franchises municipales dont la passion ne l’agitait plus, n’avait rien à regretter du passé, tout à attendre de l’avenir. Aussi fut-il, dans la dernière partie de son rôle politique, le grand foyer, l’agent infatigable de l’esprit nouveau, des idées de justice sociale, de liberté égale pour tous et de fraternité civique. Cela ne veut pas dire que cet esprit, supérieur dans son indépendance aux habitudes et aux intérêts d’ordre et de classe, s’insinuant sous l’habitude pour l’user et sous l’intérêt pour le rendre moins âpre et moins étroit, dût rester étranger aux classes dont les droits exclusifs, tombés déjà en partie, étaient condamnés à périr pour le bien de tous. Si l’ordre non privilégié se trouvait par ses instincts et ses intérêts mêmes naturellement disposé à de semblables inspirations, il ne pouvait être seul à les ressentir. Partout où des ames élevées et des cœurs généreux se rencontrèrent, il y eut de l’aliment pour ce qu’on peut nommer la pensée libérale moderne ; cette voix de l’opinion, qui renouvela tout en 1789, avait des organes éclatans et sincères parmi la noblesse et le clergé. Et, chose étrange, ce fut à la cour même de Louis XIV, autour de son petit-fils, dans des conciliabules de grands seigneurs, que naquit d’une vive sympathie pour les souffrances du peuple le premier essai de réaction politique