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contre le dogme accablant et les maux nécessaires de la monarchie sans limites.

On sait qu’un écrivain de génie, évêque admirable et ardent philanthrope, Fénelon, fut l’ame de ces projets dont il avait semé le germe dans ses leçons, données durant cinq ans à un prince héritier du trône[1]. Le plan de gouvernement conçu par lui et embrassé avec passion par le successeur futur de Louis XIV offrait un singulier mélange d’esprit aristocratique et d’affection pour les intérêts populaires[2]. Ce plan, auquel s’attache une vague célébrité, avait le mérite respectable d’être inspiré par la conscience des abus et des maux présens, avec l’immense défaut d’appliquer à ces abus des remèdes pires que le mal lui-même. Il détruisait la centralisation administrative et jusqu’à l’administration proprement dite, supprimait les intendans des provinces et remplaçait les ministres par des conseils[3]. Enlevant à la royauté son caractère moderne, il en faisait, non plus l’image vivante, la personnification active de l’état, mais un privilège inerte servant de couronnement à une hiérarchie de privilèges et s’appuyant sur elle en la protégeant[4]. C’était, pour fuir les vices de la monarchie absolue, rétrograder vers la monarchie féodale et défaire l’ouvrage

  1. Fénelon remplit de 1689 à 1694 les fonctions de précepteur du duc de Bourgogne, qui, en 1711, à la mort du dauphin son père, devint l’héritier présomptif.
  2. Voyez, dans les Œuvres de Fénelon, t. XXII, l’écrit intitulé : Plans de gouvernement concertés avec le duc de Chevreuse, pour être proposés av, duc de Bourgogne, novembre 1711. Le duc de Bourgogne, devenu dauphin, venait d’être associé par Louis XIV aux travaux du conseil ; il avait pour principaux confidens de ses vues politiques, sous l’initiative de l’archevêque de Cambrai, le duc de Beauviliiers, son ancien gouverneur, et les ducs de Chevreuse et de Saint-Simon. Voyez les Mémoires de ce dernier, t. X, p. 4, 204, 209, et t. XII, p. 260.
  3. Les intendans de justice, police et finances étaient une création de Richelieu. Tous les ministères, sauf l’office de chancelier, devaient être abolis, et leurs attributions réparties entre six conseils agissant sous le contrôle du conseil d’état présidé par le roi. Les six conseils se nommaient : Conseil des affaires étrangères, des affaires ecclésiastiques, de la guerre, de la marine, des finances et des dépêches ou du dedans du royaume. Ce mode d’administration fut essayé avec de tristes succès sous la régence du duc d’Orléans. Voyez les Mémoires de Saint-Simon, t. X, p. 6, 7, 8, et t. XII, p. 267, 269 et 270.
  4. L’administration tout entière devait s’exercer dans chaque province par des états particuliers, sous le contrôle souverain des états-généraux du royaume. Le conseil de l’intérieur, celui des finances et le conseil d’état lui-même n’avaient, à ce qu’il semble, d’autre autorité administrative que le droit d’inspection par commissaires. Voici ce que portent à cet égard les plans de gouvernement concertés avec le duc de Chevreuse : « Établissement d’états particuliers dans toutes les provinces, avec pouvoir de policer, corriger, destiner les fonds, etc. Suffisance des sommes que les états particuliers lèveraient pour payer leur part de la somme totale des charges de l’état. -Supériorité des états-généraux sur ceux des provinces ; correction des choses faites par les états des provinces sur plaintes et preuves. Révision générale des comptes des états particuliers pour fonds et charges ordinaires. — Point d’intendans ; missi dominici seulement de temps en temps. (Œuvres de Fénelon, t. XXII, p. 579, 580 et 581.)