Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/514

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

égale. Ainsi la compagnie du Nord a terminé les embranchemens et les prolongemens de cette grande ligne ; la compagnie d’Orléans à Bordeaux a suspendu ses dépenses depuis plusieurs années ; celle de Tours à Nantes ne dépensera pas 10 millions en 4850, et, en supposant que celle de Paris à Strasbourg en consacre 15 ou 20 à la ligne principale et à l’embranchement de Sarrebruk, on n’aura pas un total de 40 millions pour la dépense en travaux neufs de toutes les compagnies des chemins de fer en 1850.

Ainsi, la moyenne des travaux exécutés annuellement par le ministère des travaux publics et par les compagnies de chemins de fer, qui était d’environ 300 millions avant la révolution de février, et qui n’avait que faiblement diminué pendant la crise révolutionnaire, descend aujourd’hui à 150 millions. Cette lacune dans l’activité industrielle du pays est tellement profonde et s’étend tellement loin, qu’elle ressemble à un abîme.

Certes, le développement des travaux publics avant 4848 avait quelque chose d’excessif. Tout mouvement soudain et désordonné ébranle les forces qui l’environnent. L’exécution simultanée des routes, des canaux et des chemins de fer avait enlevé trop de bras à l’agriculture ; les salaires et les matériaux de construction avaient subi un renchérissement monstrueux ; les usines à fer, ne pouvant pas suffire aux commandes, avaient enflé démesurément leurs prix. Enfin, la spéculation, enlevant le travail sur ses ailes extravagantes, l’avait entraîné dans son discrédit. En revanche, la réaction de défiance, de découragement et d’inaction est aujourd’hui beaucoup trop forte. 150 millions de moins représentent plus de cent cinquante mille ouvriers sans emploi. Aussi les forges et les ateliers de construction sont-ils à l’état de chômage ; une langueur mortelle paralyse l’esprit d’entreprise et le mouvement de l’industrie.

L’état réduisant à 113 ou à 115 millions par année ses dépenses en matière de travaux publics, il faudrait que les grandes compagnies vinssent suppléer à son défaut, et consacrer au moins 100 millions aux lignes de chemins de fer qu’il nous reste à construire. Sous peine d’une crise qui peut devenir une catastrophe, nous avons à ranimer de ses cendres l’esprit d’association. Si nous voulons que l’état ne se charge pas de tout, encourageons enfin et accueillons les compagnies qui se présentent pour entreprendre quelque chose. N’allons pas nous préoccuper de la crainte, aujourd’hui bien puérile, de leur abandonner de trop beaux profits. L’intérêt public demande qu’elles gagnent et non qu’elles perdent, car leurs pertes n’enrichissent pas le trésor. La compagnie qui aura prospéré en fera naître de nouvelles. L’état ne sera plus une force condamnée à un majestueux, mais stérile isolement ; il verra surgir autour de lui, quoique bien au-dessous de lui, d’autres