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rien n’est plus remarquable que la fraternité qui règne au sein de ces associations. Je ne parle point seulement du puissant esprit de solidarité qui, en Serbie notamment, relie entre eux les membres libres de ces municipalités démocratiques ; dans la Russie même, quelque chose de cet esprit essentiellement slave a échappé à l’injure des temps et à l’atteinte du pouvoir. Les attributions des communes russes s’étendent en général à tous les rapports des paysans entre eux, et combien l’organisation indécise et vague de la propriété dans l’empire du czar ne rend-elle pas ces rapports difficiles ! Cependant, de l’aveu de ceux qui ont vu fonctionner les communes russes, rien de plus fraternel et de plus véritablement chrétien que les procédés et l’action de ces petits pouvoirs populaires. M. de Haxthausen en a tracé de curieux tableaux. D’après ses observations, toujours si calmes et si justes, le principe sur lequel se fonde le partage des terres parmi les paysans est que, toute la population masculine formant une unité collective, la somme des terres, champs de labour, prairies, pâturages, forêts, broussailles, lacs, étangs, forme aussi une unité foncière, appartenant non aux individus, mais à l’unité collective représentée par la commune. Chaque individu mâle a droit de réclamer pour sa part l’usufruit d’une quantité de terre égale à celle des autres membres. Les forêts, les pâturages, les droits de chasse et de pêche, n’étant pas susceptibles de partage, restent indivis et livrés à l’usage de tous ; mais les champs et les prairies sont effectivement partagés. Or, comment partager avec équité des terres plus ou moins fertiles, plus ou moins rapprochées du village ? Il est difficile de résoudre un pareil problème à la satisfaction générale. Toutefois, si un paysan s’estime moins bien traité que les autres, il adresse ses réclamations à la commune, et celle-ci, quand elle les trouve fondées, l’indemnise avec des terres de réserve.

En dépit de ce système indécis, de cette confusion permanente, de ces partages qui se renouvellent annuellement ou du moins à toutes les époques du recensement de la population, et en vertu de l’aveugle jugement du sort, l’esprit de fraternité ne cesse pas de régner entre les membres de l’humble communauté russe ; Chaque famille en soi forme un élément organique de la commune, les familles réunies composent une association dans laquelle tous les membres se sentent parfaitement solidaires. Il pourrait être curieux de rechercher quelles institutions économiques résultent particulièrement de l’idée de la solidarité communale, et l’on remarquerait que, dans certaines régions du territoire slave comme en Bulgarie, cette idée a donné lieu à des dispositions aussi ingénieuses que bienfaisantes, dont le premier résultat est de prévenir la mendicité. En beaucoup d’endroits, la caisse communale, formée du revenu des impôts qu’elle transmet au chef de la province, fait aussi les fonctions de caisse d’épargne et de banque, de prêts ou