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plus propre à abolir le respect de la justice et par conséquent des lois que cette apothéose annuelle ? Et qu’on ne dise pas que nous sommes impitoyables envers les crimes politiques ! Nous ne confondons pas les crimes politiques avec les autres crimes, et les fanatiques avec les scélérats ; aussi trouvons-nous fort naturel que l’amnistie vienne de temps en temps délivrer les condamnés politiques. On a abusé de l’amnistie, sous la monarchie de juillet comme sous la présidence du 10 décembre ; mais enfin l’amnistie est chose raisonnable. Elle ne glorifie pas le délit, elle l’oublie. — La récompense nationale, telle qu’elle était inscrite au budget, est le contraire de l’oubli ; elle perpétue la mémoire du crime, et elle le récompense comme une vertu. En supprimant cette allocation, l’assemblée législative a témoigné du respect qu’elle entend que tout le monde ait pour les lois. La montagne a protesté contre cette décision par ses cris tumultueux. Comment, en effet, selon la montagne, comment sauver la république, si on ne récompense plus les professeurs de barricades et les instituteurs d’émeutes ? Comment, selon la montagne, concevoir une société qui ne donne pas une prime d’encouragement à ceux qui veulent la détruire ?

Cette indulgence meurtrière pour les crimes politiques, indulgence dont la montagne veut faire une maxime d’état, a inspiré à M. Jules Favre un long discours greffé sur un de ces amendemens improvisés qui sont, pour ainsi dire, le clou où chacun vient pendre son tableau. S’il y a une peine qui soit convenable entre toutes aux crimes politiques, c’est assurément la déportation. Elle arrache les coupables au milieu dans lequel ils vivaient ; elle les dépayse, et, en les dépaysant, elle a grande chance de les guérir. La déportation, telle qu’elle est organisée par la loi nouvelle, est une peine comme les délits politiques sont un crime. Expliquons-nous : nous reconnaissons que les délits politiques peuvent, à la suite de certains événemens, ne plus être considérés comme des crimes, et c’est pour cela que nous croyons que l’amnistie leur est très naturellement applicable. La déportation peut aussi, dans certains cas, devenir une simple émigration. Le changement des circonstances et le changement de lieux sont également propres à détruire le fanatisme, qui est la cause ordinaire des crimes politiques. Or, une fois le fanatisme détruit, il n’y a plus de crime, et il n’y a plus lieu non plus d’appliquer la peine. Le fanatisme politique dépend donc beaucoup des temps et des lieux. Tel puritain qui est un conspirateur désespéré en Angleterre n’est plus en Amérique qu’un colon actif et laborieux. La déportation est la peine qui peut le plus aisément s’adoucir sans s’énerver. Quel reproche M. Jules Favre faisait-il donc à la déportation ? Il lui reprochait précisément ses bons effets. La déportation licencie les armées de l’émeute. M. Favre voudrait seulement les mettre en congé de semestre. Voilà pourquoi à la déportation il voulait substituer le bannissement : encore une prime d’encouragement aux crimes politiques ! Les bannis restent sur la frontière, toujours attendant, toujours épiant le moment de rentrer dans la patrie, toujours en correspondance avec les factieux du dedans. Le bannissement met l’insurrection au bout des chemins de fer : voyez la belle distance ! Le bannissement est donc une mauvaise peine pour la société. Le bannissement est une mauvaise peine aussi pour le condamné, car elle ne détruit pas le fanatisme qui l’a poussé au mal ; elle l’excite, au contraire, par la vue du pays qu’il a voulu révolutionner, par les lettres de ses complices ; elle le met à portée