Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/575

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

telle que le lecteur s’inclinât devant ce siècle où ceux qui se trompaient étaient encore de grands hommes. Grace à l’ingénieux écrivain, leurs mérites éminens, loin de s’élever, comme une accusation, contre le roi qui les a proscrits, se groupent comme un cortége à la suite du règne qu’ils ont illustré.

Peut-être l’auteur de la Religieuse de Toulouse se fut-il montré plus sévère, s’il eût écrit dans un de ces momens de sécurité publique où l’esprit est moins sur ses gardes, où il est plus disposé à se courroucer ou à se plaindre de tout ce qui attente à la liberté de conscience. Comme rien n’altère alors le repos extérieur la paix matérielle des sociétés ; comme les idées les plus hardies, les plus agressives, paraissent se renfermer dans ce monde intellectuel où toute liberté semble légitime parce qu’aucune n’est dangereuse, on se sent indulgent pour les émancipateurs de la pensée humaine, rigoureux pour leurs persécuteurs. Aujourd’hui le point de vue est quelque peu changé ; à qui la faute ? M. Janin ne nous le dit pas ; pourtant on reconnaît, en le lisant, que, comme tous les bons esprits, il a trouvé une leçon salutaire, une vive et fortifiante secousse dans les événemens qui ont tout à coup remis en question et rendu suspectes les conquêtes de l’intelligence et de la liberté modernes. C’est là le châtiment des révolutions, qu’elles autorisent les hommes sages à revenir sur les concessions faites, à révoquer en doute les progrès constatés ; mais c’est aussi leur enseignement et, pour ainsi dire, leur profit, qu’au moment où elles donnent le vertige aux ames faibles et poussent aux extrêmes les imaginations ardentes, elles resserrent entre les esprits justes et la vérité, entre les cœurs droits et le bien, ces liens précieux que détend la prospérité. M. Sainte-Beuve, en citant, il y a quelques années, je ne sais quelle échappée ultramontaine ou absolutiste de Joseph de Maistre, ajoutait que de semblables paradoxes ne sont permis qu’à un homme nerveux, agacé par la lecture de Dulaure ; il n’est plus nécessaire aujourd’hui d’être nerveux et de lire Dulaure, il suffit d’être raisonnable et de regarder autour de soi.

Il faut donc féliciter M. Janin du respect profond avec lequel il a parlé des luttes théologiques qui se rattachent à cette histoire de la Religieuse de Toulouse, et des justes méfiances qu’inspiraient aux pouvoirs d’alors ces premiers symptômes de résistance et de schisme. Son œuvre y a gagné en élévation et, en gravité : elle s’y est mieux imprégnée d’ailleurs du véritable genre de ce XVIIe siècle, dont le culte porte bonheur. Cette passion bizarre pour la théologie fut en effet un des caractères du grand siècle. Ainsi que l’indique avec grace et justesse l’auteur de la Religieuse de Toulouse, l’esprit humain, arrivé à la possession pleine et complète de lui-même, tourna vers le ciel son premier regard, dont rien n’altérait plus la hardiesse et la netteté. Dans ce moment unique, fugitif, où l’intelligence mesurait ses forces sans en abuser, où l’examen était encore un hommage, Dieu parut le seul objet digne d’occuper la méditation et la pensée. Tout ramenait à lui, les joies et les douleurs, les catastrophés et les fêtes, le dégoût des plaisirs et les leçons de l’adversité. On l’étudiait comme le but suprême de toutes les existences, le terme de toutes les ambitions, le consolateur et le refuge de toutes les disgraces, et, s’il se mêlait à cette étude quelqu’une de ces dissidences par où se dédommagent les vanités secrètes ou les secrètes faiblesses, elle augmentait, au lieu de l’affaiblir,