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l’autorité de ces grandes questions qui semblaient résumer tout ce que l’homme a intérêt de savoir ici-bas.

La Religieuse de Toulouse n’eût-elle d’autre mérite que de révéler avec éclat le respectueux retour d’un talent vraiment littéraire vers cette époque qui restera, en dépit des novateurs, l’éternel honneur de l’esprit français, ce livre aurait droit à une mention et à un hommage ; mais, en se renfermant dans des considérations plus frivoles, en se bornant à demander à la Religieuse de Toulouse l’attrait d’une lecture romanesque où la fiction s’entremêle aux données et aux épisodes historiques, il y a encore beaucoup à louer dans cet ouvrage. Le caractère principal, celui de la comtesse de Mondonville, est parfaitement tracé. Cette physionomie impérieuse, hautaine, cette ame où la soif du commandement dessèche les affections plus douces, mais qui ne renonce pas au don de plaire tout en renonçant à aimer, cet ensemble de beauté splendide et de vertu superbe, jetées hors des voies communes par un insatiable esprit de domination, tout cela s’annonce bien dès les premières pages, et les événemens qui suivent n’en paraissent que le développement logique. Le personnage de Marie d’Hortis est touchant, celui de Guillemette de Prohenque a de la fraîcheur et de la grace ; ses amours avec le jeune avocat du Boulay, plus épris de ses beaux yeux que de sa cause et oubliant volontiers jésuites ou molinistes pour un sourire de Guillemette, forment un charmant épisode et un heureux contraste avec les austérités d’un sujet où la théologie coudoie le roman. Quelques scènes terribles, remplies de mouvement et de drame, telles que l’arrivée de la comtesse dans la maison pestiférée, sa lutte avec le marquis de Saint-Gilles, l’espionnage nocturne de la Verduron et les funérailles simulées de la délatrice, surgissent tout à coup dans le récit dont elles rehaussent l’intérêt sérieux et les aspects grandioses, comme ces pittoresques accidens de paysage qui, survenant au milieu d’une belle et fertile plaine, ajoutent à l’intérêt du voyage le charme de l’émotion et de l’imprévu.

Quant au style de la Religieuse de Toulouse, il marque, selon nous, un pas décisif dans la manière de M. Janin. Ce n’est plus ce style chatoyant, goguenard, sautillant, toujours prêt à s’égarer en mille capricieux méandres, et qui semblait convenir d’autant moins aux sujets graves, qu’il convenait mieux aux sujets futiles. Dans la Religieuse de Toulouse, cette phrase, hachée menue, taillée à facettes, ciselée en fines et impalpables dentelures, a pris de la consistance, du tissu et de l’ampleur. On dirait qu’en respirant l’air du grand siècle, l’écrivain a pris quelque chose de ses allures, qu’il a fait comme ces pèlerins qui rapportent de leur pèlerinage quelques-uns des objets de leur piété. Non pas qu’il ait copié personne, pas plus Saint-Simon que Bossuet-, mais en s’inspirant de cette prose savante, magistrale, flottante parfois, qui s’élargit et s’élève avec l’idée au lieu de la morceler ou de l’amoindrir, qui fuit le faux éclat, le cliquetis, la pointe frivole, qui s’arrêterait d’elle-même si la pensée ne l’accompagnait plus, et qui, sans se laisser jamais entraver par elle, évite constamment de l’asservir et surtout de la remplacer, en se pénétrant de toutes ces grandes qualités du grand style qu’il est plus facile d’indiquer que de définir, et de définir que d’imiter, M. Janin n’a gardé, de sa précédente manière, que le mouvement, l’air dégagé, l’allure svelte et libre, l’inépuisable variété des tours, et ce sentiment