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l’expression est aussi heureuse que la pensée : nous les reproduisons ; on jugera de la différence des classifications : « Dans la prison, les condamnés de race urbaine sont comme les indigènes du lieu. Les condamnés de race rurale n’y sont guère que des étrangers. Pour des races de condamnés qui diffèrent entre elles autant par le caractère ou le degré du crime que par les habitudes de l’aptitude en fait d’industrie, il est nécessaire non-seulement que les deux classes de prisons n’aient pas le même régime moral, mais qu’elles emploient un système de travail complètement opposé. Affectez donc aux détenus des campagnes des pénitenciers agricoles, et aux détenus des villes des pénitenciers industriels. Dans le premier cas, la ferme doit servir de type à la prison, et la manufacture dans le second. »

C’est une idée féconde que celle des pénitenciers agricoles ; elle a cet avantage de substituer au travail sédentaire des maisons centrales les labeurs de la vie des champs ; elle a de plus le mérite de l’à-propos. On sait qu’après la révolution de février, le travail dans les prisons excita de vives clameurs de la part des ouvriers. On demanda la suppression du travail pénitentiaire, et la suppression fut accordée. M. Ferrus répond à ces accusations par des chiffres. « Il résulte de documens irrécusables que la concurrence faite par l’ouvrier détenu à l’ouvrier libre est de 400 pour 20000, soit 2 pour 1000. » Le travail des prisonniers, qui se répartit sur une soixantaine d’industries, ne peut donc pas empirer la condition des nombreux ouvriers qu’occupent les manufactures en France. C’est un fantôme dont on effraie l’imagination des classes pauvres ; mais, dans un temps où l’ignorance est à la merci des passions politiques, il faut tourner les obstacles au lieu de les briser, et la fondation de colonies agricoles, entre autres bons effets, produit celui de ne pas froisser un préjugé.

Les pénitenciers agricoles ont encore un résultat plus immédiat et plus grave : ils rompent l’uniformité des travaux, qui, appliqués dans les maisons centrales à des caractères si divers, cause l’affaiblissement du corps et le découragement moral. Il est triste de jeter les yeux sur la statistique sanitaire des prisons et d’y surprendre les maladies et la mort frappant de préférence les natures les plus vigoureuses, que le régime intérieur a débilitées.

Après avoir montré le condamné dans la prison, c’est-à-dire pendant le temps de l’expiation, M. Ferrus le suit au moment où la libération met un terme à sa captivité, Les premiers temps de la libération sont les plus durs ; qu’on tempère leur rigueur par l’intervention du patronage. — Ainsi, emploi de la cellule pour corriger le détenu, travail approprié aux antécédens de l’individu, patronage à l’époque de la libération, voilà les trois points qui dominent la réforme pénitentiaire. On le voit, M. Ferrus est éclectique. Il ne repousse aucun système, ou plutôt il les accepte tous à la fois. Son but est de châtier et de moraliser le condamné. Il y aurait quelque présomption à vouloir purifier complètement les coupables ; mais ce serait désespéré de la perfectibilité humaine que de renoncer à les rendre meilleurs.



V. DE MARS.