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telle situation ne fait pas des hommes aimables, mais des hommes forts. Leur impatience d’acquérir et leur amour du lucre les éloignent nécessairement du culte des arts et de cette heureuse situation qui se contente de jouir de la vie et d’en faire jouir les autres. On n’a de respect que pour la fortune et l’entreprise qui la donne. Le père n’est souvent estimé de son fils que comme un objet utile autrefois, et qu’on dépose dans un coin comme un vieux meuble hors de mode. Par cet affaiblissement même des sympathies domestiques, la race se répand au loin dans les directions les plus diverses, creusant des canaux, élevant des digues, desséchant des marécages, et créant de nouvelles familles, qui bientôt vont se disséminer à leur tour ; c’est un plaisir pour l’Américain d’aller loin, le plus loin possible ; souvent des domaines fertiles sont négligés, parce qu’ils sont trop rapprochés du hameau natal.

Cet en avant perpétuel (go-a-headism) est indispensable là où il y a tant à faire contre la nature. Les portions exploitées et mises en culture sont à peine au total du territoire comme 1 est à 3,000, et un voyageur original disait que, pour se faire une juste idée de la proportion à établir entre les défrichemens opérés et les forêts, friches, étangs, marécages, bruyères, prairies sauvages, il fallait imaginer un habit dont les coutures représenteraient les défrichemens opérés et dont les terrains incultes seraient l’étoffe. Une telle situation réclame toutes les forces de la jeunesse ; cette jeunesse renouvelée du caractère américain se manifeste et éclate en mille traits. C’est une vivacité extrême, une susceptibilité souvent exagérée, un besoin de sensations nouvelles, et quelquefois une frivole et volage humeur. Aussi l’Amérique est-elle couverte d’aventuriers de tous les pays, parmi lesquels les plus bizarres exploitent le midi, et les plus hardis l’extrême nord. Des scènes inouies se passent dans les forêts sauvages des Montagnes Rocheuses et dans le monde incivilisé du Texas, de l’Orégon et de la Californie. Une vie impétueuse et neuve se meut sur des fleuves géans et dans des espaces immenses. Plus on avance du côté de la mer Pacifique, plus on rencontre sur sa route les efforts, les phénomènes, les prodiges souvent sanglans et douloureux d’un enfantement de civilisation colossale. Il y a quelque chose d’épouvantable dans le règne de la force brutale au milieu de la nature vierge ; le grotesque s’y mêle, car l’épouvantable est souvent grotesque.

— Voilà une femme bien gaie, disait un voyageur à un mormon en lui montrant la maîtresse de l’auberge, près de Mobile.

— Oui, sans doute, répondit-il, c’est une de nos saintes, et la sainteté rend toujours gai : il n’y a pas long-temps qu’elle s’est adjointe à nous ; elle avait à revenir de loin, continua-t-il en prenant un air hypocrite accompagné d’un sourire et d’un clin d’œil significatifs ; quand