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fâché, mais nous ne pouvons pas faire autrement : la première place, vous le savez, appartient toujours aux dames.

L’indignation et l’ébahissement de l’Anglais se manifestèrent par un silence qui dura cinq minutes et qui témoignait son dégoût pour cette doctrine. Il était solennel, il était digne, il était terrible ; il devint éloquent.

— Monsieur, dit-il, je l’ai retenue à Cumberland, je l’ai payée, elle est à moi, on ne me la prendra pas, et je défie tous les Yankies, tous les Américains, quels qu’ils soient, de me la disputer. Non, monsieur, c’est mon droit, et je le soutiendrai par tous les moyens possibles…

Et il se mit à jurer d’une manière si effrayante, que le peuple s’attroupa autour de la voiture ; les quatre pauvres dames usurpatrices des coins se trouvaient dans la foule. Qui cédera ? — l’Angleterre et son droit, — ou l’Amérique et sa chevalerie ! Après avoir proféré le plus beau by-god ! qui ait tonné d’une bouche anglaise, notre homme se renfonça dans son domaine, le sourcil froncé, et portant écrite sur son front la détermination invincible de ne pas céder à l’Amérique insurgée.

— Comme vous voudrez, monsieur, reprit l’Américain, qui ferma la portière doucement et qui allongea ses mots à la façon des Yankies vous pouvez rester, si cela vous fait plaisir, jusqu’à l’éternité.

Sûr de la victoire et ne daignant pas même jeter un coup d’œil sur les visages mécontens qui l’entouraient, l’Anglais superbe se replongea dans sa méditation. Au bout de cinq minutes, la dignité de cette solitude lui pesant, il releva la tête, laissa échapper un second juron et se remit à l’étude ; cinq nouvelles minutes s’écoulèrent, il trouva que ces Américains étaient d’une lenteur ridicule, et remit la tête à la portière. On riait ; il regarda : les deux chevaux avaient été doucement dételés ; sur la grande route, une autre voiture emportait les quatre voyageuses et leurs compagnons. L’Anglais ne se déconcerta pas : ouvrant la portière violemment, il s’élança, courut après la diligence subreptice, et fit un quart de lieue pour la rattraper avant que le conducteur américain daignât s’arrêter et lui faire place.

Une beauté délicate et fine qui s’évanouit bientôt, des mariages contractés de très bonne heure, l’indépendance absolue des jeunes personnes, tradition anglaise et germanique exagérée encore par les Américains, enfin la préférence qu’ils accordent toujours à l’activité de la jeunesse, expliquent l’influence excessive que les très jeunes filles usurpent sur la société au détriment de leurs mères, mises à la réforme (put on the shelf) dès qu’elles ont des enfans. De là cette frivolité de ton que mistriss Trollope et mistriss Martineau reprochent aux réunions américaines, et à laquelle les hommes politiques les plus graves et les vieillards les plus respectés sont forcés de se soumettre. « J’en