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du roi du sein de Paris dominé par l’insurrection, furent obligés, lorsque le départ du prince fut connu, de feindre plus de colère que personne et de déployer une violence de paroles que démentaient leurs sentimens secrets. Dans une situation aussi fausse, ce parti était, tout autant que le malheureux roi lui-même, dépourvu de l’autorité nécessaire pour lutter contre une révolution dont le centre de gravité venait d’être violemment déplacé. Aussi, quoi que tentassent Barnave et les feuillans pour relever aux yeux de la nation le prince qu’à force d’exigences ils avaient contraint à déserter nuitamment sa demeure sous la livrée d’un domestique allemand, ces courageux efforts ne purent manquer d’avorter et contre la méfiance que leur conduite antérieure inspirait aux amis dévoués du monarque, et contre celle que leurs pensées nouvelles inspiraient à la révolution victorieuse. À partir du jour où Pétion, le chapeau sur la tête, avait ramené Louis XVI aux Tuileries, ce palais ne fut plus qu’une prison habitée par une famille frappée d’une déchéance irréparable. Sitôt que, par cette tentative de fuite, le roi eut authentiquement constaté l’oppression qui pesait sur lui, tous ceux qu’un dévouement traditionnel liait au sort de la maison royale crurent devoir l’imiter dans sa fuite, et allèrent préparer à l’étranger une résistance qu’ils n’avaient pas su organiser à l’intérieur. Les personnages compromis ou menacés qui, aux premiers temps de la révolution, avaient quitté la France avaient agi sans but politique et sans aucun concert ; mais ils furent suivis, dans la seconde moitié de 91, d’un flot d’émigrans qui couraient à l’exil comme à un rendez-vous d’honneur. De ce jour-là, l’émigration changea de caractère, et devint menaçante de défensive qu’elle avait été d’abord. En mettant en commun leurs colères, leurs souvenirs et leurs illusions, ces femmes tombées tout à coup de l’opulence dans le besoin, ces gentilshommes qui ne connaissaient de la France que les salons et les camps, enfantèrent la dangereuse école politique dont l’existence fut, pendant un demi-siècle, le plus sérieux obstacle que la maison de Bourbon ait rencontré dans le pays.

L’émigration fut une grande faute politique, car elle désarma le parti de l’ordre en armant le parti de l’anarchie ; elle donna d’ailleurs à la révolution ce qui commençait à lui manquer, de justes susceptibilités à exploiter, de nouvelles résistances à vaincre, et surtout de nouvelles richesses territoriales à dévorer. L’émigration ne fut pas moins fatale à la cause de la liberté qu’à celle de la monarchie, car elle sépara de la nation la classe qui semblait plus appelée que toute autre à comprendre et à goûter les nobles jouissances de la liberté politique. Personne n’eut l’initiative de ce mouvement ; irréfléchi dans ses moyens, irrésistible dans sa puissance, il fut pour les gentilshommes français du XVIIIe siècle le lointain et dernier écho du mouvement