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toute la Lycaonie, n’offre qu’à peine cinquante milles géographiques carrés de terrains cultivés : c’est une vaste solitude, animée seulement à de larges intervalles par quelques tentes des tribus kurdes.

Outre les céréales, la région des plateaux fournit encore deux autres produits, qui pourraient devenir l’objet d’un commerce lucratif : le pavot et la plante tinctoriale connue dans l’Orient sous le nom de djéhri : c’est le rhamnus infectorius, cultivé également dans le midi de la France, à cause de la belle couleur jaune, que donne le fruit de cet arbuste, fruit qui y est désigné vulgairement sous le nom de graines d’Avignon.

Le pavot (papaver somniferum), destiné à la fabrication de l’opium, est cultivé dans presque toutes les parties de l’Asie Mineure ; mais c’est particulièrement dans la région des plateaux que cette culture est pratiquée sur une très grande échelle. La ville d’Afium-Karahissar peut être considérée comme le pays classique de la culture du pavot ; toutes les vastes plaines qui environnent cette ville y sont presque exclusivement consacrées. On ne saurait douter que le funeste usage que les Chinois font de l’opium ne nuise grandement à l’agriculture de l’Asie Mineure, entravée par le développement des plantations de pavots. Malheureusement l’intérêt de l’agriculture s’efface ici devant les intérêts du commerce anglais. L’Angleterre se livre aujourd’hui au trafic de l’opium avec plus d’ardeur et de succès que jamais ; il semble que sa dernière guerre avec la Chine n’ait eu pour but que de conquérir à la Grande-Bretagne le droit d’empoisonner en masse les citoyens inoffensifs du Céleste Empire. Aussi, pour exercer ce monopole sur la plus large échelle et le garantir contre toute concurrence étrangère, l’Angleterre a consacré d’immenses capitaux à l’organisation du commerce de l’opium, en le concédant comme droit exclusif à la Peninsular Company, créée en 1840 par un bill du parlement. Cette riche et puissante compagnie possède vingt-six bateaux à vapeur, dont plusieurs sont exclusivement destinés à recueillir dans toutes les échelles du Levant le précieux narcotique et à le transporter aux Indes. Smyrne, comme plusieurs autres échelles, a un agent de la compagnie qui y réside constamment ; un bateau à vapeur est exclusivement affecté au service entre Smyrne et Malte, où les cargaisons d’opium sont d’abord transportées : là, elles sont transbordées sur un autre bateau qui les dépose à Alexandrie ; un troisième steamer les y reçoit et les transmet au Caire à un quatrième bateau, qui à son tour les achemine vers Suez, où enfin un cinquième bateau les transporte à Madras. En 1847, Smyrne seule a fourni à l’agent anglais qui y réside 400 tonnes (la tonne à peu près à 1,000 kilogr.) ou 400,000 kilogr. d’opium.

Le pavot est ordinairement semé à la fin de l’automne et se récolte au mois de juillet ; on en obtient le suc laiteux au moyen d’une incision